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états : mais il faut du temps à la logique pour vaincre les habitudes, et comme la France n’était pas encore détachée de la monarchie, la République fut une violence faite non seulement au roi, mais au peuple. L’œuvre religieuse fut la ruine du catholicisme. Celle-là était contraire à la fois à la volonté du pays et à la logique d’un régime qui devait respect aux consciences.

La première œuvre s’accomplit comme d’elle-même par un élan inexpérimenté, mais sincère et universel : fête de cinq mois qui jeta ses plus beaux feux dans la nuit du 4 août. Mais dès le 6 octobre l’émeute avait conquis le gouvernement et le ramenait comme un butin à Paris, les mandataires de la France devinrent les otages de la capitale, la capitale obéit aux clubs, celui des Jacobins étendit dans tout le pays ses affiliations, et sur le pays surpris et garrotté en plein rêve de liberté régna une oligarchie de démagogues. Elle seule, durant une tyrannie de dix années, poursuivit contre la monarchie et contre l’Église une haine implacable comme un dogme, et persévérante comme un complot.

C’étaient le dogme et le complot préparés, dès l’ancien régime, par la secte qui avait « creusé la mine sous les autels et sous les trônes[1]. » La Franc-Maçonnerie s’est toujours vantée d’avoir fait la Révolution : elle a droit de dire qu’elle la corrompit. Il semble contradictoire qu’une réforme religieuse et politique ait été imposée par une minorité à la majorité, au moment où une réforme sociale remettait à cette majorité le pouvoir. Pourtant la réforme sociale fit la force de la secte jusque-là contenue, et qui grandit soudain, en 1789, de toute l’autorité perdue par les autres hiérarchies. Au moment où la destruction des corps séculaires qui avaient assemblé les intérêts et les intelligences livrait les Français à l’isolement de l’esprit et aux embarras de la souveraineté, cette association demeurait un centre intact d’influence. Quand le pouvoir fut remis au suffrage, elle suscita, par l’effort en apparence spontané de ses adhérens, les candidatures de ses meneurs : tel l’invisible mouvement d’un prestidigitateur habile met entre les doigts de ses dupes la carte qu’ils croient avoir choisie. Ainsi elle pénétra dans le gouvernement. Fondée sur cette certitude que l’humanité contient deux sortes d’hommes, d’une part une élite faite pour « recevoir la lumière », de l’autre la multitude des profanes ; que dans l’élite même un très petit nombre

  1. Louis Blanc, Histoire de la Révolution, I. II, p. 74 et suiv.