Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vue différent, affirme que toutes les grandes revendications des droits de la femme convergent forcément à une vie de chasteté virginale, que la femme n’est libre qu’à ce prix ; ses plus hautes aspirations ne peuvent être satisfaites que par le communisme chrétien.

Ceci est fort soutenable ; ce qui l’est moins, c’est la glorification de la femme sous la plume ampoulée d’un certain frère Andrew J. Davis, qui traite du développement spirituel de la mère Ann, le plaçant « au-dessus de celui d’Origène, de Luther et de Calvin », pour plusieurs raisons : parce qu’elle fut femme, et une femme inspirée, parce qu’elle élargit l’envergure de l’expérience religieuse, enfin et surtout parce qu’elle a promulgué un principe central, une idée que nul avant elle n’avait énoncée, la dualité de Dieu, mâle et femelle, père et mère à la fois.

— Tout était pour l’homme, s’écrie cet ardent féministe, la femme était refoulée au dernier rang. L’apôtre Paul lui-même ne lui permettait de parler dans les assemblées que sous certaines restrictions insultantes. Il fallut dix-sept cents ans de concessions graduelles pour la conduire au rang d’incarnation féminine de la divinité ! Grâce à Ann Lee, chacun sait maintenant que Dieu est femme autant qu’il est homme !

Frère Andrew J. Davis me paraît forcer un peu la note de la théologie Shaker, les Trembleurs n’adorant comme Dieu, tout en les honorant, ni Ann Lee, ni Jésus-Christ. Quant à leur égalité comme chefs du nouveau christianisme, il y a une différence essentielle : Ann est bien supposée avoir rompu le joug qui pesait sur son sexe depuis la première désobéissance commise par la femme ; mais de même que l’Eve ancienne, formée de la substance d’Adam, lui fut assujettie, de même l’esprit divin dont fut douée la seconde Eve est emprunté au second Adam, Jésus-Christ, duquel Ann dépendit toujours, le reconnaissant pour son Seigneur. Et, en ce qui concerne les droits de la femme, Ann Lee accorda bien à ses filles de certains privilèges, comme la participation à tous les rouages du ministère et de l’administration, le soin d’en tendre la confession des péchés, etc., mais elle ne les dispensa pas pour cela des devoirs les plus humbles envers l’homme.

Les sœurs sont pour les frères des ménagères qui raccommodent leurs habits, lavent leur linge, font la cuisine, sans empiéter sur les travaux de l’autre sexe. L’égalité n’est que spirituelle ; tout se passe d’ailleurs comme dans une famille ordinaire