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L’humble vocation de George Wickersham me paraît avoir été celle de beaucoup de Shakers, sans exaltation, mais tenace et solide, impliquant le souci d’un certain bien-être en ce monde et du salut assuré dans l’autre qui ne sera que la continuation de celui-ci sans heurt ni différences.

Le récit d’un autre Shaker, jadis marié, Galen Richmond, est plus émouvant. En pleine félicité domestique, la pensée le frappa que ce n’était pas là une vie chrétienne. Ses scrupules dont il fit part à sa jeune femme la touchèrent peu. Alors il s’entendit avec les Shakers, confessa ses péchés, cessa de les commettre, dénoua lentement tous les liens qui l’attachaient à la famille et au monde. Cela prit des années. Sa femme, devenue pour lui une sœur, consentit à recevoir une large part de sa fortune en échange de la liberté qu’elle lui rendait et, emportant son estime, il s’éloigna pour rejoindre la société à laquelle il n’est complètement uni que depuis quatorze ans, bien qu’il ait vécu vingt-six ans en communion avec elle. — Les Shakers acceptent sans difficulté ces longs noviciats qui sont une garantie de persévérance, — Et Galen Richmond se proclame le plus heureux des hommes, si heureux, que, n’y eût-il pas de vie future, il choisirait encore son lot présent, Voilà une ascète digne de la Thébaïde.

Nous voyons que le protestantisme en fermant les couvens eût dépossédé du bonheur beaucoup d’âmes scrupuleuses faites pour s’y abriter, si ces âmes-là n’avaient la faculté de créer le cloître autour d’elles, sous une forme quelconque, par la force de leur désir et de leurs aspirations, (Combien ai-je rencontré aux Etats-Unis de religieuses catholiques déguisées en infirmières d’hôpital, en maîtresses d’école, en dames de charité qui se croyaient protestantes ! Chez les Shakeresses le voile et les grilles sont en moins pour nos yeux, mais tout cela existe spirituellement, et la règle est peut-être d’autant plus rigoureuse qu’elle n’a ni protection ni symboles.

N’est-ce pas un tempérament prédestiné à la vocation monastique celui de Rosetta Hendrickson qui, écrivant sur la vie des anges, déclare qu’elle ne voit aucune difficulté à la mener ici-bas, vu qu’il est beaucoup plus facile de rester pur comme un enfant jusqu’au tombeau que de passer brusquement de cette pureté enfantine à l’esclavage de la chair, lequel est en contradiction avec tout instinct délicat et tout enseignement moral ?

Une autre Shakeresse, Harriet Bullard, se plaçant à un point de