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pas (Mourgues avait de l’embonpoint), est-ce que vous ne voyez pas l’épuisement des soldats, combien ils sont hâves, pâles, exténués ? Cela crève le cœur, pourtant !

— C’est justement pour remplir nos magasins, disait d’Homolle, autre officier du maréchal, que Lebœuf a reçu l’ordre d’enlever les grands approvisionnemens de Courcelles-sur-Nied.

Il n’y eut à cela qu’un empêchement : Lebœuf venait expliquer, le lendemain, qu’il jugeait l’opération impossible. Bazaine n’insistait pas, et ordonnait à Canrobert de faire exécuter un fourrage sur les fermes des Grandes et des Petites-Tapes, sur Bellevue et Saint-Rémy. Les voltigeurs de la Garde soutiendraient l’opération. Le 3e et le 4e corps feraient diversion de leur côté. L’attaque devait commencer à onze heures. Mais les troupes, par suite de la transmission tardive des ordres, n’entrèrent en ligne que vers une heure.

Le soir, Restaud, envoyé sur le terrain, rapporta des nouvelles :

— Le 3e et le 4e corps ont mollement donné. Le 6e, avec élan. Boisjol, sous les yeux du maréchal, a enlevé avec une crânerie superbe les voltigeurs de la Garde. J’ai rencontré un officier allemand prisonnier. Des tringlots, près de moi, ont ricané. Mais lui s’est redressé : « Ça n’est pas bien de rire, a-t-il dit, et me regardant : — Ne soyez pas si fiers, votre tour approche ! »

Restaud ajoutait :

— Malheureusement le fourrage, sous le feu violent de l’ennemi, n’a pu s’exécuter. Les troupes rentrent en bon ordre.

Connu, le bulletin ! Toujours le même. Pour que rien n’y manquât, le soir, les deux Tapes, incendiées par les Prussiens, flambèrent. Et 1 250 blessés allèrent grossir les ambulances où l’on ne guérissait plus, où l’on mourait.

Le 8 au matin, ciel sombre, temps froid, la pluie. Frisch, qui allumait un feu maigre dans la cheminée, demanda :

— Est-ce que mon commandant se rappelle les bourgeois chez qui il a couché, à Moulins, le soir de la bataille de Borny ?

Les Poiret ? Oui, c’était cela, le vieux ménage affairé, aux yeux d’angoisse, à la voix faible et criarde. Poiret ? Le bonhomme rencontré à la bifurcation de la route de Moulins-lès-Metz, quelques jours après Saint-Privat ? Eh bien ?

— Il voudrait parler à mon commandant, il a dit à Mme Guimbail que c’était un grand secret.