homme d’affaires ; les mains calleuses sont d’un ouvrier. Il demande la permission de nous présenter les sœurs ; ces jeunes filles ont toutes un air de santé agréable à voir. Elles montent avec leur compagne, la voyageuse et ses nombreux paquets, dans une espèce de char à bancs qui les a amenées et partent au galop, riant tout bas, gaies d’une saine gaieté de religieuses, sans éclat ni tapage. De notre côté nous prenons place dans le buggy de l’ancien Henry qui se plaît à nous faire admirer en traversant la petite ville d’Alfred le court-house, le tribunal, tout battant neuf, et les jolies maisons bourgeoises, qui bordent les rues ombreuses[1].
Le buggy roule sur d’assez bons chemins bordés de bois et de pâturages qui appartiennent en grande partie aux Shakers ; ils ont ici 3 000 acres de terre bien cultivées, mais cette culture ne s’effectue pas facilement, faute de bras ; notre guide nous l’apprend avec un soupir. Les Shakers ne se recrutent plus comme jadis. Alfred est une des sociétés de l’ordre dont la population eut la plus rapide décroissance ; elle ne compte aujourd’hui que deux familles. Il faut dire que les familles spirituelles se composent ordinairement de trente à quatre-vingts personnes, hommes, femmes et enfans réunis ; mais enfin les Shakers étaient plus de 6 000 en 1860 ; le recensement de 1875 les réduit à 2 415, et depuis lors, leurs rangs s’éclaircissent toujours. Ils ne le dissimulent point et ne s’en inquiètent que pour leurs travaux agricoles, ne doutant pas que « la seule véritable Eglise, celle où la révélation, le spiritisme, le célibat, le communisme, la confession orale, la non-résistance, la paix, la retraite et les miracles sont les fondemens des nouveaux cieux », ne doive durer éternellement. Toutes les Eglises croulantes ont la même confiance.
Rien ne peut donner l’idée de l’ordre, de la propreté, du calme extraordinaire d’un village de Shakers. C’était un dicton favori de la Mère Ann, paraît-il, que celui-ci : « Travaillez comme si vous aviez mille ans à vivre et comme si vous deviez mourir demain... » C’est-à-dire, entreprenez avec courage les choses les plus longues, les plus difficiles, et hâtez-vous de les achever. Le résultat
- ↑ Le nom de la ville s’étend au village voisin, nommé simplement : Shakers.