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aux White Mountains, nous allons chercher dans un plus humble cadre des curiosités infiniment plus rares, la réalisation rustique de l’idéal chrétien : communauté des intérêts d’un peuple, si petit qu’il soit, sous un gouvernement spirituel.

Le car où nous nous trouvons ne vaut pas le parlour car des grandes lignes où chacun, dans un bon fauteuil à pivot, est au spectacle devant le pays parcouru.

Les sièges à deux places, sur deux rangs, les uns derrière les autres, sont occupés par des fermiers absolument pareils à autant de citadins mal mis. Le costume d’une Shakeresse assise devant nous est d’autant plus remarquable qu’en Amérique rien dans le vêtement ne trahit jamais la profession. Elle porte une robe brune toute droite, un grand fichu épingle à peu près comme celui de nos paysannes ; un étroit chapeau, forme tunnel, de la même couleur que sa robe, la rend invisible autant que ferait une cornette de religieuse. Il y a quelque chose de monastique dans sa tenue ; pas une fois elle ne tourne la tête. C’est une sœur en voyage qui rentre au bercail. Elle descend à la même station que nous, et aussitôt quatre ou cinq jeunes femmes, toutes vêtues celles-là de cotonnade bleu clair, leurs frais visages relégués au fond de chapeaux de paille semblables, s’empressent autour d’elle, la débarrassant de ses paquets, tandis que le frère Henry qui attend, lui aussi, à la tête de son cheval, s’avance vers nous avec beaucoup de dignité affable, la main tendue. C’est un homme d’âge moyen et dont toute l’attitude exprime l’autorité. Sa figure remarquablement intelligente me frappe par le regard investigateur et pénétrant derrière des lunettes et par un ensemble de physionomie qui indique la sagacité poussée à ses extrêmes limites. Rien d’ascétique. Une bouche aux lèvres épaisses, facilement souriante, quoique le sourire reste grave, un teint très animé, le nez grand, mince et busqué, les cheveux coupés carrément sur le front, très longs par derrière et qui retombent en frisons rebelles sur le collet de l’habit. Cet habit ample et long est gris tourterelle, il se croise sur un gilet de même teinte. Point de cravate, le col blanc retenu par un double bouton de métal ; un chapeau de feutre à larges bords ; presque l’ensemble du costume breton. Le visage pourrait être celui d’un homme d’étude ou d’un