que tout fût sorti lavé, poli, remis à neuf des mains de la nature. De grandes taches bleues formées par la profusion des iris (fleurs de luce) émaillaient les ravins. Des éboulis hérissés de ronces et d’arbustes nous barraient le passage, les champs s’effaçaient submergés, les chutes modestes de la rivière qui d’ordinaire font honnêtement marcher des fabriques étaient en pleine révolte ; elles enflaient leur voix pour rivaliser de tapage avec le Niagara ; de cristallines elles étaient devenues couleur de vin de Madère ; à la hauteur de l’écluse, c’était une culbute d’eaux écumeuses et chargées de débris qui se précipitaient, rebondissaient et faisaient danser les nuances du prisme dans leur poudroiement. Au-dessus de tout cela, un ciel encore menaçant d’où ruisselaient des rayons de soleil trop chaud entre les nuages plombés. Devant nous un poteau tentateur indiquait Alfred à moins de vingt milles de distance. Et il fallait attendre le raccommodage de la voie ferrée pour prendre, avec un long détour, le chemin de Rochester ! Heureusement on a vite fait en Amérique de rajuster un pont et une seconde lettre amicale de l’ancien Henry nous trouva bouclant nos sacs.
Rochester est le point de jonction de plusieurs lignes ; de là on peut filer vers les Montagnes Blanches, — vers ces Intervales alpestres où les méandres de ce qu’on prendrait au fond de la vallée pour un fleuve de verdure, suivent les sinuosités de la délicieuse rivière Soco, — vers les hôtels envahis pendant la belle saison par des milliers de touristes et de chasseurs ; on peut entreprendre l’ascension des nombreux sommets que dépasse le mont Washington et aller cueillir sur le mont Washington lui-même, coiffé de neige jusqu’au milieu de l’été, des plantes qui sont, à en croire les guides, celles du cercle arctique ; on peut pénétrer dans de luxueuses maisons de campagne à pignons et à piazzas, dans tel parc magnifique d’où sort un mail à quatre chevaux, couronné de toilettes élégantes. Vous pouvez encore, comme le font ces belles dames, quand elles sont lasses de la vie de château, essayer un peu du campement en plein air, guetter le daim, pêcher la truite et coucher à la belle étoile, — pays pittoresque et charmant, facilement accessible, tout en restant sauvage sur certains points, empoisonné par la mode sur certains autres, et dont on parlerait assurément davantage si les Montagnes Rocheuses n’existaient point.
Mais nous ne montons pas cette fois dans le train qui conduit