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difficultés sans nombre, réduits à vivre au jour le jour du travail de leurs mains, mais rien ne les rebutait, pourvu que leur fût accordée la liberté de conscience, mille fois plus précieuse que la vie. Ils s’établirent du côté d’Albany. L’endroit était d’une solitude sauvage, tout le pays bouleversé par la guerre. Comme les Shakers se montraient systématiquement opposés au meurtre, sous cette forme et sous toutes les autres, on les traita en ennemis de la cause patriotique. La Mère Ann fut de nouveau emprisonnée, bien qu’elle eût prédit que les colonies se sépareraient du gouvernement anglais, que la liberté religieuse serait établie et que le chemin se trouverait ainsi préparé au glorieux avènement ; mais le bruit qu’une femme était persécutée pour sa foi se répandit à la ronde, on en ressentit une immense pitié, on la visitait dans sa prison, et plus que jamais elle portait témoignage. Il fallut enfin la relâcher. Ann profita des revivals, réveils religieux, assemblées en plein air, prédications fougueuses, secousses de pénitence qui alors, comme aujourd’hui, préparaient à d’éclatantes conversions les âmes agitées. Elle annonça partout le royaume de Dieu et sa justice, voyageant pour cela de côté et d’autre ; une multitude la suivait. Il ne faut pas croire que la tâche des Shakers en général ait jamais été une tâche aisée. Ces détracteurs de l’union des sexes, même dans le mariage, ont rencontré de véhémentes contradictions ; pendant des années, ils furent bien souvent hués, fouettés, assommés, traités de la façon la plus cruelle, mais ils portaient leurs cicatrices avec humilité et continuaient de prêcher la bonne nouvelle, les yeux fixés sur la Mère qui acheva, vers l’âge de trente-six ans, sa tâche terrestre. Le bruit avait couru qu’elle ne mourrait point ; cependant elle ne cessa jamais de préparer son peuple à vivre sans elle. Après sa mort, en 1785, s’éleva le premier bâtiment destiné au culte public des Shakers.

Sous l’ancien James Whittaker, qui avait remplacé la Mère Ann dans le ministère, puis sous Joseph Meacham, secondé par une femme de grand mérite, Lucy Wright, l’organisation se compléta ; la communauté de New Lebanon, Nouveau-Liban, fut fondée. De là sont partis tous les autres embranchemens qui existent aujourd’hui.

Ive ministère, représentant le pouvoir exécutif de l’ordre tout entier, est formé de deux frères et de deux sœurs, et chaque famille a pour chefs également deux anciens et deux anciennes