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LE DÉSASTRE.

provisoire une longue lettre d’adhésion, et de la confier au ballon qui emportait chaque jour les correspondances sur papier pelure ? Cette lettre dépeignait la situation de la ville, l’état des esprits, et renfermait des plaintes amères contre Bazaine. Le ballon était tombé dans les mains des Prussiens, et Frédéric-Charles venait de se donner le malin plaisir de renvoyer au maréchal la missive compromettante, soulignée au crayon rouge. Bazaine ne s’était pas ému, avait même affecté de plaisanter sur le mauvais caractère du général Coffinières.

Cependant l’a sortie restait en suspens. Lebœuf insistait sur la difficulté de déboucher avec ses seules troupes, demandait que la Garde lui fût adjointe. Néanmoins, dans la journée, chacun croyait partir. Bien des visages rayonnaient.

Le 6 au matin, d’étranges nouvelles. On venait d’inviter Lebœuf à faire une opération sur Courcelles-sur-Nied. « Ce n’est pas le chemin de Thionville ! » maugréait Floppe. Mais le plus étonnant était la lettre que Coffinières venait d’écrire au maréchal. Il lui reprochait d’abandonner Metz après en avoir épuisé les approvisionnemens ; il affirmait que la ville ne pouvait résister sans l’armée ; il faisait entrevoir 15 000 nouveaux blessés, venant, à la suite du combat, s’entasser dans les ambulances, déjà remplies par 20 000 malades. Cette sortie, c’était, à brève échéance, la chute de la ville et la perte de la Lorraine. Il rejetait sur le maréchal la responsabilité des événemens et en appelait, d’avance, au jugement de la postérité.

Mourgues, exubérant, attribuait cette fluctuation à des nouvelles apprises, le matin même, dans des journaux saisis sur des prisonniers : l’armistice se négociait ; on avait communiqué à Jules Favre les conditions imposées par le roi de Prusse, et on attendait, le soir, à Ferrières, la réponse du Gouvernement de la Défense nationale.

Mourgues ajoutait :

— Le fort de Montretout est aux mains des Prussiens. Maîtres des hauteurs qui dominent Paris, ils peuvent le bombarder à leur aise. Les Parisiens terrifiés (il faisait sonner les rr) forceront le gouvernement à se soumettre. Dès lors, pourquoi tenter le sort d’un combat ? Attendons, tout va s’arranger.

— Attendre ! répétait Charlys, attendre que nous ayons mangé notre dernier morceau de pain ? Attendre que la faiblesse nous fasse tomber les armes des mains ? Parce que vous ne maigrissez