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fureur, en même temps que l’idéalisme du poème y est poussé jusqu’à l’abstraction et au symbole. « Je vous l’ai dit, écrivait Wagner à Frédéric Villot, je m’étais senti, moi aussi, entraîné à m’adresser ces deux questions : « d’où et pourquoi » ? qui avaient fait évanouir pour une longue période le charme de mon art. Mais le temps de ma pénitence m’avait appris à triompher de cette impulsion. Tous mes doutes s’étaient enfin dissipés lorsque je me mis à mon Tristan. Je me plongeai ici avec une entière confiance dans les profondeurs de l’âme, de ses mystères, et de ce centre intime du monde je vis s’épanouir sa forme extérieure… La vie et la mort, l’importance et l’existence du monde extérieur, tout dépend ici uniquement des mouvemens intérieurs de l’âme. L’action qui vient à s’accomplir dépend d’une seule cause, de l’âme qui la provoque, et cette action éclate au jour telle que l’âme s’en est formé l’image dans ses rêves ».

Arrêtons-nous, car bientôt viendrait le moment » où l’élève ne comprend plus le maître et où le maître ne se comprend plus lui-même. » Que de choses pourtant resteraient à dire de l’idéalisme de Wagner ; non plus de Wagner philosophe ou poète, mais de Wagner musicien, rien que musicien ! Idéaliste, le système du leitmotiv, qui finit par faire de la musique un système plus intellectuel que sensible, et par conséquent plus idéal, de signes convenus. Idéaliste encore, en dépit des apparences contraires, cet orchestre prodigieusement accru, ce déploiement de toutes les forces sonores, de tous « les bois » et de tous « les cuivres », comme pour mettre plus de matière, et, s’il se peut, toute la matière, à la disposition et au service de l’idée plus dominante et plus souveraine. Idéaliste par certains côtés, autant qu’il nous a semblé réaliste par d’autres, le « milieu » même souhaité par Wagner pour la représentation de ses œuvres : cette salle obscure d’où toute sensation étrangère à la sensation d’art est bannie, où rien, fût-ce un regard, un sourire, un visage ou une épaule de femme, ne saurait nous détourner de l’idéal qui nous veut et nous prend tout entiers. Idéaliste enfin, telle mélodie, tel accord, tel timbre associé par Wagner — le Wagner de Tannhäuser, de Lohengrin, de Parsifal — à ce qu’il peut y avoir de plus chaste, de plus pur et de plus pieux dans l’amour divin ou les humaines amours.

En se plaçant à ces divers points de vue, en trouvant l’ange après la bête dans une nature ou un génie qui fut sans doute l’exemple le plus puissant de cette contradiction ou de cette vicissitude,