Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous transmettre ? , et, selon le mot d’un de nos plus puissans romanciers, il ne met pas tout en dehors, mais il s’applique à laisser voir ce qui est au dedans[1]. » Alors même que le sentiment chez Bach est le plus intense, il demeure simple. La musique l’exprime dans toute son étendue, dans toute sa profondeur et, pour ainsi dire, en bloc ; elle ne le décompose, ne le raffine ou ne le complique jamais. Il arrive aussi très souvent que cette musique dépouille toute signification pathétique ou sentimentale. Alors elle n’est plus rien qu’intellectuelle ou logique. Faite pour être comprise plutôt que pour être aimée, telle fugue de Bach s’adresse plus à l’entendement qu’à la sensibilité. Elle n’est un chef-d’œuvre que de l’esprit. Elle est un chef-d’œuvre pourtant et quand on la relit, quand après des années et des années on la retrouve immuable en son abstraite beauté, on se souvient qu’auprès, au-dessus peut-être de l’idéalisme du sentiment et du cœur, il en est un autre, moins personnel et moins changeant, celui de la raison pure.

C’est un grand idéaliste que Mozart, et sa musique est peut-être celle que du mot idéale on a le plus souvent qualifiée. Il arrive constamment que le génie de Mozart non seulement dépasse, mais transforme le sentiment ou le personnage par lui traduit ou représenté. Les Noces de Figaro sont le plus fameux exemple d’un idéal transposé ou transfiguré ainsi. Dans les deux airs de la comtesse, dans le Voi che sapete, de Chérubin, le petit page de la Folle journée et sa marraine ont trouvé des accens qu’ils ne se connaissaient pas, et l’air des Marronniers respire une langueur, un mystère qui ne fit jamais défaillir le cœur de l’espiègle Suzon. Que de mélodies de Mozart débordent ainsi les paroles ou la situation ! Que de personnages doués d’une vie supérieure par la musique, par le seul pouvoir des sons ! Quelquefois de si peu de sons, d’un air ou deux à peine, témoin cette Heine de la Nuit, dont Mozart a couronné le front d’étoiles immortelles. De même le duo de Pamina et de Papageno, cette tendre litanie à deux voix, exprime, en quelques mesures, toute l’idée ou tout l’idéal de l’amour. Les couplets, Je dirais presque les versets alternés de ce dialogue font penser à ceux de l’Imitation : « L’amour rend léger ce qu’il y a de pesant... Il rend doux et agréable ce qui est amer. » Voilà ce que chante cette musique ; comme l’amour

  1. M. Victor Cherbulliez, op. cit.