Ce n’est pas tout, et dans un édifice, le monde inférieur aura sa place aussi : « On y verra les feuilles de l’olivier et du laurier, le chardon épineux, l’acanthe, le lis marin, le persil, la rose, la coquille, l’œuf, les perles, les olives, les amandes, les larmes de la pluie, les flammes et les carreaux de la foudre. Puis des feuillages imaginaires s’infléchissent et se tourmentent pour obéir aux rigides contours qui les emprisonnent. Les animaux apparaissent ensuite, comme des emblèmes de la nature sauvage domptée par l’homme. L’Indien assoit la plate-bande de son édifice sur des éléphans, le Persan remplace le chapiteau de ses colonnes par une double tête de taureau, le Grec fait servir des mufles de lion pour vomir l’eau du ciel[1]. »
La nature est un grand sculpteur, et les Phidias et les Michel-Ange ne se sont flattés que de fixer dans le marbre et de réduire à la forme pure la chair vivante et souple que la main divine a modelée.
« La nature est un prodigieux dessinateur et un incomparable coloriste. Elle a fait le ciel et ses nuages ; elle a fait la terre, ses rochers, ses arbres, ses fleurs, ses scarabées, ses colibris et ses paons. C’est elle qui donne à ses printemps leurs verts et leurs gris, qu’elle varie de cent façons ; c’est elle qui dore les automnes et blanchit les hivers comme les cheveux des vieillards[2] » et les peintres brûlent leurs yeux comme les sculpteurs lassent leurs mains à vouloir saisir, sans jamais la surprendre, la beauté qui flotte sur le corps de la créature et sur la face de la création.
La nature, qui s’offre pour modèle au peintre, au statuaire, à l’architecte, se donne ou se prête moins libéralement au musicien. Il n’y a que le musicien qui ne puisse rien copier d’elle et qui ne fasse rien ou presque rien « d’après nature. » De tous les artistes, le musicien est celui qui transforme et transpose le plus. Il est obligé d’abord, s’il veut nous les rendre sensibles, de faire passer du domaine de la vue dans celui de l’oreille l’ordre entier des apparences ou des spectacles naturels. Toute interprétation musicale de ce qu’il y a de visible dans l’univers est en quelque sorte indirecte ou à deux degrés. Mais les sonorités mêmes de la nature ne sont guère moins difficiles à rendre. Il y a plus d’architecture dans les colonnades de la forêt, plus de sculpture au front des montagnes, de peinture sur les ailes de l’oiseau-mouche, qu’il n’y