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descriptions, toutes les analyses, des chefs-d’œuvre plastiques de demain ? J’en saurai le sujet, ce qui est fort peu de chose : mais, suivant l’expression vulgaire et profonde, je ne pourrai « m’en faire une idée. » Au contraire, par la seule lecture, « l’idée » me sera, que dis-je ? l’idée m’est révélée tous les jours, d’œuvres musicales que je n’ai pas entendues, que je n’entendrai peut-être jamais. Tandis que le peintre, le sculpteur ne peut rien produire sans couleur, sans argile, sans la lumière ou le relief, le musicien se passe même du son. Dans le silence, il lui suffit d’une plume et de quelques feuillets, lesquels ne constituent aucunement la matière de son œuvre. Ecrite seulement, avant d’être sonore, cette œuvre existe déjà. Déjà, du moins, elle possède un commencement d’être. En dehors du sens de l’ouïe, sans rien qui affecte ce sens, elle vit cependant par l’artiste son créateur, et pour nous ses destinataires. Si donc en peinture, en sculpture, en architecture, l’idée a besoin, pour se réaliser et se manifester à nous, de l’intermédiaire du sens propre à chacun de ces arts ; si au contraire en musique elle est plus capable de s’en affranchir, n’est-ce pas un signe et une preuve nouvelle que l’idéalisme de la musique est, sur ce point encore, un idéalisme supérieur ?

Par nature autant que par le sens auquel elle s’adresse, la musique est idéaliste. Elle l’est par sa nature mathématique, et par sa nature métaphysique elle l’est également.

On sait comment la musique a été définie par Leibnitz : « Exercitium arithmeticæ occultum nescientis se numerare animi. » Cet inconscient et secret exercice, les plus grands savans, de Pythagore à d’Alembert, l’avaient toujours soupçonné. De nos jours Helmholtz en a pénétré et dévoilé tout le mystère. Entre l’acoustique et la musique, l’illustre physicien de Heidelberg a déterminé les rapports et pour ainsi dire jeté le pont. « Je me suis toujours senti attiré, dit-il quelque part, par la mystérieuse union des mathématiques et de la musique ; par l’application de la science la plus abstraite et la plus logique à l’étude des sons, aux bases physiques et physiologiques de la musique, le plus immatériel, le plus vaporeux, le plus délicat de tous les arts, celui qui nous fait éprouver les sensations les plus incalculables et les plu s’indéfinissables. La base fondamentale est une espèce d’application des mathématiques ; dans les intervalles musicaux, dans la gamme, etc., les rapports de nombres entiers, quelquefois même de logarithmes, jouent un rôle important. Les mathématiques et la musique, les