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jusqu’à la frénésie. A servir son dessein, je dirais volontiers son idéal de volupté et de luxure, il contraint tous les élémens, tous les agens sonores : le rythme qu’il énerve, la mélodie dont il exaspère le chromatisme, et jusqu’à la sonorité même des instrumens, des altos par exemple, qu’il pousse en leurs derniers retranchemens. Ainsi dans ces pages extraordinaires, tout est représentation physique. Ce n’est point à l’âme, ni de l’âme que parlent les sons. La bête, la bête seule triomphe magnifiquement, et nous voyons ici quelle part la musique peut faire, quel prestige, quelle splendeur même elle peut donner aux réalités des sens, de la chair et du sang.


III

Réaliste, c’est-à-dire triviale, c’est-à-dire sensuelle, la musique est réaliste encore parce qu’elle est dans un rapport nécessaire avec la réalité. Que ce réalisme-là ne soit, comme nous l’avons annoncé, que la forme supérieure de l’idéalisme musical, telle sera la conclusion de notre étude, mais la conclusion seulement. Avant d’y parvenir, il convient de chercher quels élémens d’idéal se rencontrent dans la nature et la condition de la musique.

La musique est idéaliste par le sens auquel elle s’adresse. L’oreille sans doute, — et nous venons de le faire voir, — l’oreille a ses délices, mais qui ne sont pourtant ni les plus matérielles de toutes, ni les plus exclusivement physiques. Sans parler de l’odorat, du goût et du toucher, ces trois sens dont il n’est pas d’art, qui niera qu’il y ait beaucoup plus de sensualisme ou de sensualité possible dans les formes et les couleurs que dans les sons, dans ce qui se voit que dans ce qui s’entend ? La peinture et la sculpture ont leurs musées secrets, mais non pas la musique. Sans la détermination par la parole, par le geste, il ne peut exister de musique immorale. Même déterminée par les mots, la musique demeure encore chaste, comparée à la peinture ; certaine situation d’Esclarmonde peut faire le sujet d’un entr’acte symphonique, mais non pas d’un tableau. Agent de réception du langage, c’est-à-dire de la pensée, le sens de l’ouïe semble avoir retenu de ce haut emploi quelque éminente dignité. Plus d’un grand fait et d’un grand souvenir atteste cette supériorité idéale. Dans le buisson de feu, le Seigneur se fit entendre de