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glapissemens et fureurs amoureuses de Tristan et Yseult... les accens exaltés d’une sensualité insatiable et brûlante jusqu’à l’extrême, ces râles de rut, ces gémissemens, ces cris et ces affaissemens si affectionnés par Wagner. » Ailleurs encore l’écrivain allemand se plaint que « l’excitation amoureuse revête toujours, dans la peinture qu’en fait Wagner, la forme d’une folie furieuse. » — Je regrette et je retrancherais volontiers un seul mot : toujours. Il est faux que l’amour wagnérien soit toujours l’érotisme. Il est l’héroïsme souvent, le renoncement, le sacrifice et le don sublime de soi. On ne saurait pardonner à M. Nordau d’oublier pour la frénétique Yseult la pure Elsa, la généreuse Brunnhilde et surtout l’angélique Elisabeth. Mais, les droits de l’idéalisme dans l’art de Wagner étant ainsi rappelés, le sensualisme garde les siens. Or, jamais peut-être plus qu’en face d’Elisabeth et contre elle, ceux-ci ne se sont affirmés ; jamais œuvre ne fut plus que Tannhäuser représentative de Wagner tout entier, parce qu’en nulle autre la rencontre et le conflit ne furent plus tragiques entre l’ange et la bête, entre la matière et l’esprit.

Je ne sais même pas si l’avantage ici — l’avantage esthétique — ne demeure point à la bête, et si dans Tannhäuser le mal n’est pas d’une beauté plus grande que le bien. Il y est au moins d’une puissance et d’un réalisme où jamais encore il n’avait atteint. Armide, Don Juan, Faust, toute musique d’amour, de volupté même, pâlit et fond au feu de ce brasier d’enfer. Exposés dans l’ouverture, épars et délayés dans la Bacchanale du premier tableau, c’est au dernier acte que s’unissent, pour éclater ensemble, tous les élémens, toutes les forces impures des sons. Avec un tel élan, avec tant de furie, que, dans notre mémoire au moins, la nature et la matière continuent de faire équilibre, échec peut-être, à l’esprit et à la grâce, qui dans le drame pourtant finissent par triompher. On dirait que la musique a déchaîné ici toutes les énergies, toutes les violences contenues dans le vers fameux :


C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.


Et de quelle âpre, de quelle infrangible attache ! Comme les premières notes du ténor : J’allais, poussé vers ce divin séjour ! mordent sur les trémolos de l’accompagnement ! Quelles délices et quelles tortures ensemble ! Wagner n’épargne rien. Il porte tout au comble : la langueur jusqu’à l’anéantissement, l’excitation