Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ce qu’il y a de sensible ou de sensuel, de relatif enfin à l’ordre des réalités physiques, dans la nature de l’art musical, dans ses faiblesses ou ses égaremens, quelquefois même dans certaines de ses beautés.

L’action physiologique de la musique est de beaucoup supérieure à celle des autres arts. La musique est le seul art auquel des animaux soient sensibles, le seul aussi qui invite l’homme et le contraigne même au mouvement : à la marche, à la danse, au balancement régulier de telle ou telle partie du corps. Encore plus que d’effets mécaniques, la musique est une cause, prodigieusement efficace, d’effets nerveux. Il y a des personnes que le son de tel ou tel instrument fait cruellement souffrir. Quand il entendait une trompette, Mozart enfant était près de s’évanouir. C’est un plaisir physique, et rien de plus, que nous procure telle ou telle note exceptionnelle et toute-puissante de la voix humaine : l’ut dièse d’un ténor ou le contre-fa d’un soprano.

Toute musique est inférieure, si elle se borne à produire des sensations. Quand le son nous excite au mouvement physique seulement, il ne nous plaît que comme aux animaux, ou aux hommes qui se contentent d’impressions animales. Saltantes Satyros imitabitur Alphesibœus. Des sons groupés qui ne parlent qu’à notre oreille ne constituent qu’une musique dépourvue de signification et de valeur.

Tel est le cas et le vice de certaine musique italienne. On dit volontiers aujourd’hui : de toute musique italienne. C’est médire, ou plutôt calomnier. Quand l’art italien, à la fin du XVIIIe siècle, tomba dans la sensualité brillante et vaine, il y tomba de très haut, des sommets, longtemps gardés, d’un idéalisme très pur. Idéaliste à son aurore, la musique italienne le fut encore à son midi. Elle le fut d’abord à l’église, dans les immatérielles polyphonies de Palestrina, chœurs invisibles que des âmes seules semblent chanter. La musique de théâtre même naquit à Florence au sein d’une académie platonicienne, fondée et présidée par le comte de Vernio. Rien de moins réaliste que la réforme monodique et l’opéra, tel que l’avaient conçu les premiers maîtres florentins. Les traités d’esthétique du temps ne parlent que de l’idée ou de l’idéal. Par admiration et par imitation de l’antiquité, les théoriciens et les philosophes que les artistes étaient alors, un Vincenzo Galilei, un Caccini, s’efforcent de réduire dans la musique la part de la sensation. Ils cherchent, ils rêvent un art aussi riche