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simple que de changer une belle, une sublime mélodie en une mélodie triviale, et je dirais presque infâme. Une seule note altérée suffit. Les chanteurs, qui le savent peut-être, font trop souvent comme s’ils ne le savaient pas. D’un Mozart même, surtout d’un Mozart, les notes les plus exquises, les plus divines, ne leur sont point sacrées. Ornemens, transpositions, ils n’épargnent aucun outrage à ces lignes aussi intangibles, ou qui devraient l’être, que les vers de Racine ou le dessin de Raphaël, et les plus grands interprètes eux-mêmes de Don Juan ou des Noces de Figaro ne furent pas toujours innocens de pareils attentats.

Le rythme enfin et le mouvement, ou tempo, renferment un principe singulièrement efficace d’élévation ou de déchéance, car les rapports de durée entre les notes n’importent pas moins que les rapports d’espace. Le rythme constitue même dans la musique l’agent ou le facteur principal de la caricature, cette dégradation de l’idéal. On peut réduire en quadrille le chef-d’œuvre le plus austère. Quand l’un des maîtres contemporains du piano, M. Delaborde, s’y essaya plaisamment sur quelques fugues du Clavecin bien tempéré, le rythme fut son principal complice. Il s’en faut, et de beaucoup, que toute musique rythmée soit triviale, mais il n’est guère de musique triviale qui ne soit fortement et même brutalement rythmée.

Vulgarité du rythme, de la mélodie et du timbre, sans compter celle des paroles, en un mot tout ce que la musique profanée peut comporter et réunir d’élémens grossiers et bassement réalistes, tout cela se rencontre trop souvent dans le répertoire des théâtres d’opérette et des cafés-concerts. Qu’à l’audition de pareille musique, à l’éveil au fond de soi-même de mouvemens et de sensations inférieures, certaines gens toujours, et tous à certaines heures, éprouvent quelque plaisir, je veux bien le reconnaître. Mais je dois confesser aussi, avec M. Brunetière encore, que « je ne suis jamais sorti d’un café-concert ou d’un théâtre d’opérette, sans ressentir quelque honte ou quelque humiliation du genre de plaisir que j’y avais parfois éprouvé[1]. »


II

Dans une seconde acception du mot, on peut dire que la musique est réaliste par ses rapports avec le monde des sens ; par

  1. M. F. Brunetière, La Renaissance de l’idéalisme.