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toutes les nuances, depuis la noblesse suprême jusqu’à la plus basse trivialité ? Parmi les mots eux-mêmes, ou les noms, et suivant leur sonorité, ne fût-ce que leur désinence, il en est d’élégans et distingués ; il y en a de communs et presque ignobles. Entre les voix ou les instrumens, les différences sont pareilles, et tout orchestre est une hiérarchie, Hegel distinguait deux catégories ou deux familles d’instrumens, inégales en nombre comme en dignité, selon la configuration linéaire ou superficielle du corps sonore : tantôt une colonne d’air ou une corde en vibration, tantôt une surface revêtue de parchemin, une cloche de verre ou de métal. Il observait justement que « la direction linéaire domine et produit les vrais instrumens musicaux. » Il croyait même apercevoir « entre les sentimens intimes de l’âme et les instrumens linéaires une secrète sympathie, qui fait que l’expression des sentimens simples et profonds exige la vibration des longueurs simples au lieu des surfaces unies ou arrondies. » Je sais bien que de telles classifications n’ont rien d’absolu. Beethoven a tiré le premier des timbales, instrument tout en surface, des effets extraordinaires de profondeur et de simplicité. Les instrumens valent ce que vaut le musicien qui les emploie, et le vulgaire cornet à pistons a été promu par Meyerbeer dans le trio final de Robert le Diable à une dignité qu’on ne lui connaissait pas. Ce sont là néanmoins des exceptions et comme des faveurs spéciales. Elles ne renversent point un ordre général et, encore une fois, une hiérarchie naturelle, que, sans y insister, il convenait au moins de rappeler ici.

Autant que le timbre, l’harmonie introduit dans la musique un élément de noblesse et d’idéal, ou de vulgaire et plate réalité. C’est l’harmonie, plus précisément un accord de sol mineur substitué à l’accord de si bémol, qui donne à la dernière reprise du Voi che sapete de Chérubin un étrange et profond accent de mélancolie. Avant les premiers mots de Lohengrin, modifiez, ne fût-ce qu’une seule note de l’harmonie exquise, changez en accord de majeur l’accord de fa dièse mineur, aussitôt vous verrez se rompre le charme et s’évanouir le mystère dont marche environné le chevalier divin.

Quant à la mélodie, à qui donc apprendrons-nous qu’elle aussi, elle surtout, peut être ce qu’il y a de meilleur, ou de pire ? Qu’elle soit de l’une ou de l’autre sorte, il est aisé de le décider, le démontrer est moins facile. En revanche, rien n’est plus