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l’épithalame de Lohengrin, et, pour ne parler que de la musique de danse, on sait qu’il y a des valses délicieuses, mais qu’il en est de pitoyables aussi. Associée à nos plus nobles émotions, la musique l’est de même à nos plus médiocres plaisirs. On fait de la musique à l’église, au Conservatoire et sur les champs de bataille ; on en fait au cirque et sur les champs de foire. Aux sons de la musique l’homme rêve, il pleure, il pense et il prie ; mais aux sons de la musique les animaux dansent et les chevaux tournent, même les chevaux de bois. Nul art n’est plus accessible, plus à la portée du vulgaire, partant plus à sa merci. Appartenant à tous, la musique peut souffrir de tous, et de sa beauté, de sa vertu sociale, voici le revers et la triste rançon. Ce qu’elle fait pour les hommes, les hommes à leur tour l’accomplissent contre elle ; ils lui rendent le mal pour le bien ; elle les élevait, ils la dégradent, et les crimes des foules, comme leurs exploits, s’accomplissent en chantant.

Une autre cause d’abaissement et de vulgarité pour la musique est la nécessité de l’interprétation. Seule entre tous les arts, excepté l’art dramatique, elle y est soumise, et plus que l’art dramatique même, elle en pâtit. Gounod disait avec raison : « Il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. » Les chefs-d’œuvre de la musique sont les plus exposés à cette calomnie. Plus sensibles que les autres et vulnérables en plus d’endroits, ils comportent en outre de plus nombreux interprètes. Rappelez-vous le Théâtre à la mode, ironiquement dédié par Marcello « aux chanteurs de l’un et de l’autre sexe, directeurs, instrumentistes, machinistes, peintres, bouffes, costumiers, pages, comparses, souffleurs, copistes, etc. » Aujourd’hui comme autrefois, peut-être davantage, cette foule d’intermédiaires est nécessaire à la plus complexe des œuvres d’art, l’opéra. Faut-il s’étonner qu’en ces trop nombreuses rencontres avec la réalité, l’idéal se dégrade et se déflore, et que le flambeau quelquefois s’éteigne, en passant par tant de mains ?

Indépendamment de toute interprétation, et pour ainsi dire en soi, la musique peut être réaliste au sens où nous prenons ici le mot. Composée de formes viles, elle peut n’exprimer et n’éveiller que des pensers et des sentimens dépourvus d’élévation et de dignité. Tantôt le rythme sera vulgaire, tantôt ce sera la mélodie, l’harmonie, ou le timbre seulement.

Qui ne sait que le timbre, cette couleur du son, comporte