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REVUE DES DEUX MONDES.

N’est-ce pas elle qui nous vaudrait de meilleures conditions en fatiguant les envahisseurs ? Se résoudrait-on à ce que la Lorraine, l’Alsace, comme ils s’en targuaient bien haut, demeurassent leur proie ? Qu’attendait Bazaine ?

Là-dessus, les vagues bruits d’une tentative de sortie vers Thionville se répandaient. Le sous-intendant Gaffiot recevait l’ordre de réunir deux jours d’avoine pour tous les chevaux de l’armée à la date du 1er  octobre. Et Du Breuil apprenait par Charlys que le maréchal attendait avec impatience le résultat des négociations de Régnier. Le 29, malheureusement, tout ce beau plan, fondé sur les mirages d’un hâbleur, ou pis encore, sur les menées d’un espion, s’écroulait. Un parlementaire, envoyé par le général de Stiehle, arrivait au Ban Saint-Martin. Il remettait au maréchal une lettre de Bourbaki, datée d’Hastings, et une du prince Frédéric-Charles, surpris que Bourbaki demandât à rentrer à Metz. « Le général ne devait cependant pas ignorer que, si on ne s’opposait pas à un voyage politique, il était bien entendu que, pendant la durée du siége, il ne pourrait rentrer dans la forteresse. Régnier avait dû lui faire connaître cette condition. »

— Pauvre Bourbaki ! Encore un dont le Sphinx s’est débarrassé ! répétait-on.

Mais Du Breuil pensait, avec plus de raison, que, parti confiant dans la succès de sa mission, persuadé que tout serait aussitôt réglé, Bourbaki s’était figuré n’avoir plus à rentrer à Metz. Sa demande à Frédéric-Charles prouvait sans doute qu’il n’avait pu s’entendre avec l’Impératrice, et se trouvait dans une situation fausse.

Le pis est que Bazaine lui-même était joué, — et avec quel art ! — par l’incomparable Bismarck. Une dépèche de Ferrières, le même jour, posait au maréchal cette question : accepterait-il, pour la reddition de son armée, les conditions que stipulerait M. Régnier ? Bazaine était bien forcé de répondre au général de Stiehle qu’il ne connaissait pas Régnier. Muni d’un laissez-passer de M. de Bismarck, cet homme s’était dit l’envoyé de l’Impératrice, sans pouvoirs écrits ; il s’était informé des conditions auxquelles le maréchal consentirait à négocier une capitulation. « Je lui ai répondu, écrivait Bazaine, que la seule chose que je pusse faire serait d’accepter une capitulation avec les honneurs de la guerre, mais que je ne pouvais comprendre la place de Metz dans la convention à intervenir. » L’honneur militaire ne lui permettait pas