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à l’Espagne de conserver avec l’Europe, M. Canovas avait raison : il a pu se tromper sur d’autres points, non pas sur celui-là. Peut-être le langage que toutes les puissances tiennent à l’Espagne n’est-il pas absolument le même, mais leur sentiment à son égard est identique. Elles ont toutes un intérêt, sinon égal, au moins semblable, à la stabilité, à la prospérité, à la tranquillité que lui garantissent ses institutions présentes. Les souhaits qu’elles forment à son sujet ne sauraient varier de l’une à l’autre, car pourquoi varieraient-ils ? Tout le monde veut du bien à l’Espagne, et si elle a elle-même un intérêt incontestable, c’est d’être également bien avec tout le monde. Ayant l’heureuse fortune de pouvoir se tenir à part de tous les conflits continentaux, elle aurait tort de ne pas en profiter, aujourd’hui surtout où les divergences de vue entre les groupemens européens sont aussi réduites que possible, et où la seule vue commune aux uns et aux autres est d’écarter résolument ce qui pourrait compromettre la sécurité générale. Mais c’est peut-être trop insister sur des discours que M. Moret a prononcés dans l’opposition : il est au pouvoir aujourd’hui, et le pouvoir assagit. Les circonstances que traverse l’Espagne sont graves et délicates. Parmi toutes les puissances, aucune à coup sur n’en suit les phases successives avec plus de sympathie que nous. Ce n’est pas sans anxiété qu’on voit un pays, qui a été si grand dans le monde, menacé de perdre les derniers et les plus glorieux débris de son vieil et glorieux empire colonial, et ce n’est pas non plus sans admiration qu’on assiste au prodigieux et héroïque effort qu’il continue de faire pour les conserver. M. Canovas a compris son œuvre d’une manière, M. Sagasta comprend la sienne autrement : l’un et l’autre ont mérité de réussir. Quoi qu’il arrive, l’histoire est toujours bienveillante pour ceux qui, n’ayant pas commis les fautes, se sacrifient pour les réparer.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.