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dont elle avait besoin pour sa consommation. M. Canovas ne méconnaissait pas ces intérêts ; il leur faisait même toutes les concessions possibles ; mais il n’admettait pas qu’ils créassent en faveur des États-Unis un droit d’intervention dans les affaires cubaines. On savait à Washington que l’altitude des conservateurs serait toujours, sur ce point, intransigeante ; en revanche, on y espérait trouver chez les libéraux des dispositions plus conciliantes, et on y désirait ardemment leur arrivée au pouvoir. Ils y sont aujourd’hui, et tout porte à croire que les espérances des États-Unis seront déçues. L’Espagne peut bien faire des concessions dans la voie de l’autonomie ; elle peut en faire dans le domaine économique ; elle agit alors dans la plénitude de sa souveraineté. Mais elle repousse une intervention étrangère sous quelque forme qu’elle se déguise. On ne connaît pas encore le texte de la note que le nouveau ministère vient d’arrêter pour répondre à celle du général Woodford : cependant les journaux en ont publié un résumé qui doit être exact. La note explique le rappel du général Weyler par des motifs d’ordre politique et par une résolution spontanée. Cela donne à croire que le gouvernement des États-Unis avait demandé ce rappel, ou du moins avait fait entendre qu’il serait désirable. S’il l’avait obtenu du ministère conservateur, il aurait pu se flatter de l’avoir imposé ; mais il n’en est pas de même avec le cabinet libéral. Le rappel du général Weyler devait être, en effet, son premier acte ; tout le monde le savait d’avance, et le général lui-même s’y attendait si bien qu’il est allé au-devant de la décision du gouvernement et qu’il l’a presque provoquée. Le second point traité dans la note espagnole se rapporte à l’autonomie de l’île : c’est là que le gouvernement des États-Unis, s’il est de bonne foi, comme nous aimons à le croire, pourra trouver des satisfactions sérieuses, sans qu’elles aient pourtant la forme de concessions qui lui auraient été faites. Enfin, sur un troisième point, le ministère libéral aborde avec franchise et courage la question qui est au fond même de toute cette controverse. Il n’hésite pas à dire que, si l’insurrection cubaine a duré aussi longtemps, c’est parce qu’elle a trouvé encouragement et concours de la part des flibustiers américains. Cessante causa, cessat effectus : le jour où des actes aussi contraires au droit des gens prendront fin, et cela arrivera lorsque le gouvernement des États-Unis le voudra avec quelque fermeté, l’insurrection sera, elle aussi, bien près de son terme.

Si la réponse du gouvernement espagnol a été vraiment conforme à ce que disent les résumés télégraphiques, elle lui fait honneur, car elle est à la fois ferme et digne, et elle obtiendra l’assentiment