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très difficile. Les troupes espagnoles peuvent toujours tenir dans les villes et dans les territoires défrichés ; mais les insurgés sont insaisissables dans la manigua, et dès lors la situation actuelle, immobile et stagnante, se prolongera indéfiniment, si, après avoir suffisamment usé de la force, on ne fait pas intervenir la diplomatie et la conciliation. Telle est la thèse des libéraux. Ils aiment à dire que la guerre, poussée au point où elle l’a été jusqu’ici, met désormais deux impuissances en face l’une de l’autre. Dans ces conditions, le problème serait insoluble Le moment est venu, d’après eux, d’affaiblir l’insurrection en détachant d’elle le plus possible d’élémens flottans. Tous ne sont pas également irréductibles : il y a des insurgés que l’on peut très bien amener à déposer les armes en leur faisant quelques concessions, et c’est pourquoi M. Moret, allant plus loin dans les réformes que ne se proposait de le faire M. Canovas, a prononcé à plusieurs reprises le mot d’autonomie. Il est donc à croire que le gouvernement libéral va donner à l’ile l’autonomie ; mais que sera exactement cette autonomie, car ce mot, qui paraît simple, a des acceptions assez variées ? S’agit-il de doter Cuba de l’autonomie politique, à l’exemple du Canada ou du Cap ? L’opinion espagnole verrait là un pas trop considérable et trop rapide fait dans la voie de la séparation. S’agit-il seulement de lui concéder l’autonomie administrative et économique ? Si l’on ne regarde pas comme impossible que M. Moret et M. Sagasla parviennent à réaliser une entente sur ces bases, ils ont à concilier des objets naturellement divergens : d’une part, les exigences des autonomistes cubains, dont les limites ne sont pas encore bien connues ; de l’autre, beaucoup d’intérêts qui seront froissés dans la péninsule, où l’on perdra de précieux et de nombreux débouchés de fonctionnaires ; — réforme inévitable, mais qui sera ressentie douloureusement, dans les mœurs politiques et parlementaires de nos voisins. Ils avaient pris riiabitude d’user très largement de Cuba comme d’un déversoir commode pour le trop-plein de candidats aux fonctions publiques qu’ils ne réussissaient pas à pourvoir dans la mère patrie. Ce qui est plus grave, ou du moins plus sérieusement regrettable, c’est la perte probalde d’un marché important pour les industriels de Catalogne et de Biscaye.

A l’égard des États-Unis, la question est plus complexe encore. On ne saurait nier leurs intérêts à Cuba : ils sont considérables, et ils souffrent. Les capitaux et le travail américains étaient employés abondamment dans les plantations, les chemins de fer et les mines. Le marché cubain est maintenant fermé. Enfin l’Amérique ne trouve plus à Cuba le sucre