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et une signification qui certainement a été comprise. En somme, si les bruits qui ont couru sont exacts, les États-Unis ont demandé une réponse catégorique à cette question de savoir à quel moment l’insurrection de Cuba prendrait fin. Le cabinet de Madrid serait sans doute très heureux de le savoir lui-même. Il a peut-être à ce sujet des présomptions plus ou moins fondées ; mais comment aurait-il une certitude ? Au reste, quand même il en aurait une, serait-il obligé d’en faire part à un gouvernement étranger ? Les États-Unis n’ayant aucun droit à lui poser une semblable interrogation, il n’a lui-même aucun devoir d’y répondre. Il l’a fait pourtant, et personne ne le lui reprochera, car, dans l’état de tension où sont les choses, la moindre faute pourrait amener une rupture, et on ne peut que lui conseiller de pousser la condescendance aussi loin que sa dignité le lui permettra.

A peine la note du général Woodford était-elle remise, que le ministère Azcarraga a donné sa démission. Il y a eu là une coïncidence regrettable, mais une simple coïncidence. On aurait sans doute tort de croire, et encore plus de dire, que la note américaine a précipité la chute du cabinet conservateur. En réalité ce cabinet était mort avec M. Canovas del Castillo. Le système ne pouvait pas survivre à l’homme qui à lui tout seul en avait été l’âme. Jamais on n’a mieux mesuré la force et l’influence d’un caractère bien trempé qu’après l’assassinat de M. Canovas. Son parti se résumait dans sa personne : lui disparu, on s’est aperçu tout de suite que ce parti n’existait plus. Trop de divisions s’y étaient introduites. L’autorité d’un chef respecté pouvait seule y maintenir une certaine unité ; encore n’était-ce qu’une apparence ; et du vivant même de M. Canovas, on n’ignorait pas ce qu’il fallait en penser. On le laissait aller, on le laissait faire, parce que c’était lui. Il maintenait ses amis dans l’ordre et dans une soumission au moins provisoire. Quant aux dissidens, comme M. Silvela, il avait dû accepter avec eux une scission inévitable, et il tâchait de vivre quand même, tirant de lui toutes ses ressources, faisant face à tous ses adversaires, soit au dedans, soit au dehors, et jetant sur les uns et sur les autres ces « tristes et intrépides regards » dont a parlé Bossuet. Il soutenait avec une résolution indomptable la rc-volte de Cuba et des Philippines. On savait qu’il ne céderait pas, qu’il irait jusqu’au bout de ses forces, et la question vrainiont tragique qui se posait, dans ce duel où les deux adversaires combattaient à mort, était de savoir lequel périrait le premier.

Qui aurait pu le dire ? S’il faut en croire le général Weyler, le succès final était assuré à brève échéance. C’est possible ; mais faut-il