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ne l’est certainement pas de constater l’extrême tolérance avec laquelle il a tout laissé faire et tout laissé passer, fermant les yeux aux entreprises qui se préparaient et s’organisaient sur son territoire, et ne les ouvrant que pour regarder avec une attention curieuse et parfois impatiente les effets qui en résultaient dans l’île révoltée.

Le gouvernement de Washington paraît s’étonner et s’inquiéter de plus en plus de la durée de l’insurrection. Il a pourtant, — on s’en doute d’après ce qui précède, — de bonnes raisons de ne pas en être surpris : il en a de meilleures d’en éprouver quelque inquiétude. Incontestablement, la prolongation de l’état de guerre porte atteinte aux intérêts de beaucoup de ses nationaux ; mais on n’a pas encore admis jusqu’à ce jour que des inconvéniens, ou même des souffrances de ce genre, donnent à un gouvernement étranger le droit d’intervenir dans la politique intérieure d’un autre pays. C’est là un acte incorrect. En Europe, on le regarderait comme l’avant-coureur des complications les plus redoutables ; mais peut-être, de l’autre côté de l’Atlantique, n’en est-il pas tout à fait de même, la cause et l’effet n’y ayant pas une corrélation aussi étroite et aussi brève que chez nous. L’Amérique, à beaucoup d’égards, semble destinée à innover dans le droit des gens et dans les coutumes diplomatiques : elle n’est pas faite à nos mœurs, et nous ne sommes pas faits aux siennes. L’Espagne devra s’en rendre compte pour ne pas se laisser entraîner à ses premiers mouvemens en présence de démarches qui n’ont peut-être pas, dans la pensée des Américains, la même signification et la même portée qu’elles pourraient avoir chez nous. Quoi qu’il en soit, le gouvernement des États-Unis a pris, il y a quelques semaines, une initiative qui, pour n’être pas imprévue, n’en est pas moins peu ordinaire. Il a envoyé à Madrid un nouvel ambassadeur, le général Woodford, dont le premier acte a été de remettre au gouvernement espagnol une note sur le caractère de laquelle on n’est pas encore bien fixé, car elle a été tenue secrète, mais qui est, à coup sûr, de nature à causer de sérieuses préoccupations. Que demande le général Woodford ? On ne le sait pas au juste, car il a suffisamment observé à l’égard des journalistes la discrétion diplomatique. Il s’est seulement défendu d’avoir présenté un ultimatum, assurant que le gouvernement espagnol ne l’aurait pas souffert, et rien, en effet, n’est plus certain. Mais il y a beaucoup de manières de tourner une communication inquiétante, et même si on admet, conformément aux vraisemblances, que le cabinet de Washington ait employé la plus édulcorée de toutes, le fait n’en garde pas moins une importance sur laquelle on ne peut se méprendre,