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et les promenades dans son parc. Elle dit avoir laissé ses chagrins à Stockholm. »

Son amitié pour son glorieux frère se fortifiait avec l’âge. Ils étaient en correspondance réglée et philosophaient à l’envi sur la vanité, sur le néant de la vie. « Si tout n’est pas bien, lui écrivait Frédéric, tout est passable, et voilà de quoi il faut se contenter dans ce misérable monde. Pour moi, qui me sens vieux et cassé, je passerai mon Noël au coin de ma cheminée à me faire quelque conte de grand’mère. » Elle lui brodait des pantoufles et lui envoyait des porcelaines de Suède ; il lui fit cadeau d’une tabatière et de chrysoprases rares : « Soit retenue, soit justice que je me suis rendue, j’ai bien fait de m’abstenir de mettre mon simulacre sur la tabatière. La seule vue d’un vieux singe comme moi vous aurait empêchée de prendre du tabac. » En 1782, elle fut atteinte d’une grippe pernicieuse. Dès qu’il fut informé de la gravité de son état, son fils se rendit auprès d’elle. Après l’avoir accablé de ses récriminations amères, elle s’adoucit, s’apaisa, lui ouvrit les bras et lui pardonna. Le lendemain, elle reçut la visite de son petit-fils, qui avait alors quatre ans et n’avait jamais vu sa grand’mère. Elle le fit asseoir sur son lit, le contempla, le caressa, accrocha à son petit bonnet une agrafe en diamans ; elle ne finissait pas de l’embrasser. Elle sentit sans doute à cette heure combien nous paraissent vaines nos agitations, nos jalousies, nos colères, quand la mort qui s’annonce répand son mystérieux silence dans une âme trop amoureuse du bruit et des orages.

On se convainc, en lisant l’excellent livre de M. de Heidenstam, que les connaissances les plus variées, les plus beaux talens du monde, tournent à mal à qui n’a pas l’esprit de sa profession. Louise-Ulrique, qui avait une intelligence supérieure, ne comprenait rien à la politique ; elle s’imaginait que, pour gouverner les hommes, il suffit de penser juste et d’avoir toujours raison. Elle n’a jamais su, comme la grande Catherine, retrousser ses manches « pour travailler sur la peau humaine. » Il est vrai de dire que de toutes les peaux, c’est la plus difficile à préparer. Ce genre de travail demande une souplesse de main que la nature lui avait refusée, et qu’au surplus elle ne s’était jamais souciée d’acquérir.


G. VALBERT.