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initia aux grands mystères. Gustave doutait de ses propres capacités. « Munck, dit M. de Heidenstam, dut vaincre ses hésitations, l’encourager à tenter l’épreuve et finalement le conduire, presque de force, tout pâle et tremblant, dans le secret de la nuit, à la chambre nuptiale. Là ne s’arrêta pas encore son rôle extraordinaire. On se rappelle une histoire qui, sous le second Empire, faisait le tour des salons de Paris, comme quoi un célèbre maréchal manchot, qui venait de se marier, avait, pendant sa nuit de noces, menacé « d’appeler ses zouaves. » Munck, caché derrière la porte, s’entendit appeler par le roi. Il dut entrer et faire fonction de zouave. »

Quelques mois plus tard, on apprit que la reine était grosse. On s’étonna, on s’enquit, la médisance n’épargna personne ; les amateurs de scandale, les mécontens, les séditieux tinrent pour avéré que l’enfant qu’on attendait n’était pas du roi, qu’il était de Munck. Le prince Charles était intéressé à le croire, et il le fit croire à la reine mère, qui lui déclara « qu’il ferait bien de veiller sur ses droits, qu’elle serait au désespoir de les voir passer sur la tête d’un bâtard. » Le roi eut une explication terrible avec son frère, qui rejeta lâchement tout l’odieux de cette affaire sur Louise-Ulrique. Bouillant de rage, Gustave III l’alla trouver à Frederikshof, lui fit une scène, qui épouvanta jusqu’à la valetaille. Il lui signifia qu’il n’y avait plus place pour elle et lui dans le royaume, qu’elle eût à quitter sur-le-champ la Suède. Elle avait commis une de ces fautes qu’on ne pardonne point. Emportée par sa haine contre sa bru, cette belle-mère implacable n’avait pas craint de mettre en danger l’avenir de la dynastie, en dénonçant à la Suède son petit-fils comme un bâtard. « Il est permis de croire, remarque à sa décharge M. de Heidenstam, que trompée par les assurances de son second fils, elle avait été de bonne foi, et n’avait pas prévu toute la portée de son action ni le retentissement qu’elle aurait. Le temps, ajoute-t-il, a eu raison de la calomnie. Aucun écrivain ne l’endosserait aujourd’hui, l’histoire impartiale ayant fait justice des racontars de l’époque. Mais qui dira quelle part le scandale fait autour de sa naissance put avoir dans les événemens de 1809 qui chassèrent Gustave IV du trône ? »

Toute réflexion faite, Gustave III n’exila pas sa mère ; il se borna à ne plus la voir. Elle vécut désormais dans la solitude. Son orgueil l’aida à supporter avec dignité sa déchéance, et les plaisirs de l’esprit la sauvèrent de l’ennui. Retirée à la campagne, elle se trouvait heureuse au milieu de ses livres et de ses fleurs. « La reine mère, ne quitte plus Svartsjö, elle partage son temps entre la science, le jardinage