moi, tout est perdu. Pour former un gouvernement fort, il faudrait un miracle, et Dieu n’en fait plus. » Il n’y eut rien de miraculeux dans le coup d’État de 1772, et le ciel n’avait pas eu besoin de se déranger pour en assurer le succès. Ce fut tout simplement un coup d’État bien fait, et, soit impatience, soit gaucherie, soit humeur chagrine, Louise-Ulrique n’avait jamais su bien faire les choses.
Elle s’était montrée aussi maladroite dans sa vie privée que dans le maniement des affaires publiques. Elle appartenait à cette maison de Brandebourg où l’on se disputait beaucoup, où l’on passait son temps à se brouiller et à se rapatrier, où les querelles domestiques se terminaient par des paix fourrées ou plâtrées. On lui reprochait d’avoir transporté ces mœurs dans sa nouvelle famille, d’aimer à s’agiter sans cesse en agitant les autres, d’avoir trop de goût pour les orages. Elle ne s’était pas querellée avec son mari, parce qu’il n’avait point de volonté ; mais son fils aîné en avait une, elle n’en pouvait douter, et quand elle devint veuve, elle sentit que c’en était fait, que son règne était fini, qu’en dépit des protestations que lui prodiguait Gustave III, jaloux de ses droits et de sa gloire, il aurait hâte de se soustraire à la tutelle de sa mère et de la mettre à l’écart. Il faut pourtant lui rendre la justice que lorsqu’elle apprit l’heureux coup d’État dont il lui avait ravi l’honneur, elle fut transportée de joie. Elle était alors en Poméranie. « Tu es mon fils et tu es enfin digne de l’être, lui criait-elle de l’autre côté de la Baltique. Dieu bénisse tes entreprises ! J’oublie, je pardonne tout… mon Gustave, n’abuse pas du pouvoir que Dieu te donne. Laisse à la postérité l’exemple d’un bon roi, d’un honnête homme. » La réconciliation dura peu, et elle devait se brouiller à jamais avec son Gustave par un acte qui n’était pas seulement une maladresse insigne, mais dénotait un vice du cœur. M. René Millet a été vraiment trop indulgent quand il a dit, dans l’intéressante préface qu’il a mise en tête du livre de M. de Heidenstam, « que cette femme orgueilleuse, mais droite, n’avait jamais eu à se reprocher aucune faute sérieuse dans l’ordre moral. »
Dans un temps où l’on éprouvait le besoin de vivre en de bons termes avec le Danemark, on avait fiancé le prince Gustave, âgé alors de deux ans, à la princesse danoise Sophie-Madeleine, plus jeune de quelques mois. La reine, qui s’était mis en tête de marier son fils à une Prussienne, avait réprouvé cette union et ne s’était consolée qu’en se persuadant qu’elle ne s’accomplirait jamais. Cependant, dix-sept ans plus tard, la cour de Danemark déclara qu’elle tenait l’engagement pour valable, la Diète suédoise lui donna raison. Il fallut se soumettre, et