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en faveur. Dans un moment critique, on engagea Louise-Ulrique à le revoir et à ne rien négliger de ce qui pouvait le ramener. Au lieu de faire appel à sa générosité, au dévoûment chevaleresque qu’il lui avait toujours témoigné, elle le prit de haut, et la morgue prussienne glaça sa langue. Elle lui rappela les bienfaits dont elle l’avait comblé : « Comte, dit-elle, vous n’oublierez pas combien le prince et moi nous avons été bons pour vous. Le moment est venu de nous prouver votre reconnaissance. » Le comte répliqua sur un ton arrogant, on rompit avec éclat, et elle se retira frémissante de colère. Il y a des femmes qu’on a battues pour de moindres peccadilles.

Elle ne renonça pas pour cela à son dessein ; elle dit : « Moi seule, et c’est assez... » Le coup d’État militaire qu’elle méditait avorta misérablement, et cette échauffourée, qui coûta la vie à quelques-uns de ses amis, compromit pour longtemps sa situation. Dégoûtée des coups de main, elle voulut essayer des moyens doux, caressa une chimère, se flatta que, par la persuasion et les pots-de-vin, elle déciderait la Diète à réviser elle-même la constitution et à limiter ses pouvoirs. Plus réfléchi, plus clairvoyant, son fils aîné, le futur Gustave III, lui avait représenté qu’on ne pouvait remédier au mal que par un acte révolutionnaire, a qu’il y a des exemples de rois ayant abdiqué le pouvoir, mais que jamais une assemblée n’a, de son propre gré, renoncé à l’omnipotence. » Elle ne voulut pas l’en croire, elle échoua une fois de plus et se trouva à bout de voie, lui laissant la gloire de prouver que tout réussit à qui sait s’y prendre.

Il avait juré « de faire disparaître un gouvernement de brailleurs » et que son pays n’aurait pas le sort de la Pologne. Ce prince habile, rusé et secret, prépara son action, laissa à cette affaire le temps de mûrir, sauva les apparences, mit l’opinion de son côté, et le 19 août 1772, sans qu’une goutte de sang fût versée, en un seul jour, par des mesures adroitement prises, la monarchie fut restaurée. « Il lui avait suffi de haranguer les régimens de la garde pour être acclamé et suivi. Parcourant les rues de la capitale, il avait soulevé le peuple, s’était saisi du parc d’artillerie, avait fait arrêter les membres du Conseil et disperser les délégations des États. Il avait ensuite imposé aux votes de la Diète une nouvelle constitution, en cinquante-sept articles, qui, tout en sauvegardant les libertés individuelles, rendait à la Couronne ses anciennes prérogatives. Lorsqu’il rentra au palais, le soir du même jour, la Suède était rentrée sous le régime monarchique, après avoir secoué le joug des factions. » Sa mère lui avait écrit, dans son découragement : « Que voulez-vous que je vous dise de vos affaires diaboliques ? Pour