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dépouillée de toutes ses prérogatives, devait se contenter du stérile honneur de présider le Sénat et de signer tout ce qu’on voulait ; refusait-elle sa signature, on y suppléait au moyen d’une griffe. Désormais un roi de Suède n’était plus qu’un mannequin, et, quand il possédait des qualités brillantes, un ornement, un décor.

La Diète, divisée en deux partis, les Chapeaux et les Bonnets, dévoués les uns à la France, les autres à la Russie, était à la merci des gouvernemens étrangers, qui se disputaient ses suffrages et les payaient en écus bien sonnans ou en rentes viagères, auxquelles s’ajoutaient dans l’occasion des présens de vins et de bas de soie. C’était ce qu’on appelait « le jeu des influences. » Les subsides étaient distribués de la main à la main par les ambassadeurs aux chefs de parti ; leurs complaisances étaient une marchandise tarifée ; on n’obtenait pas de rabais, c’était un prix fait ; telle session de la Diète coûtait plus d’un million de livres au Trésor français, qui dépensait souvent son bien en pure perte ; la Russie, l’Angleterre, la Prusse, le Danemark couraient sur son marché et le lui soufflaient. Le comité secret qui gouvernait la Suède adjugeait ses voix au plus offrant, vendait l’honneur national à la chaleur des enchères.

Le ministre d’Angleterre à Stockholm écrivait à Walpole en 1742 : « Les membres de la Diète que j’entretiens ici me coûtent cher. On peut compter que nous avons de notre côté les cinq huitièmes des prélats, des bourgeois et des paysans, et à peu près la moitié des nobles. La Diète est ainsi presque également partagée. Il en est de même du Sénat, de sorte que l’issue peut dépendre entièrement des deux voix dont dispose le roi. Le président de la Chambre des paysans s’engagerait à être à nous pour cent ducats. Je serais d’avis de les donner. » — « Mes deux principaux adversaires, écrivait de son côté, vingt-quatre ans plus tard, le baron de Breteuil, ambassadeur de France, répandent un argent prodigieux, que mes fonds ne peuvent balancer. Je m’occupe cependant des moyens d’en arrêter les effets. Je suis en pleine négociation avec les principaux prêtres et bourgeois du comité secret. » Il avait résolu de ne plus payer désormais avant d’avoir palpé la marchandise ; il avait eu de grandes déconvenues ; on lui avait fait des promesses que le vent avait emportées ; il ne voulait plus confier au hasard des sommes considérables, et il disait : Donnant donnant. Cela ne faisait pas le compte des bourgeois et des prêtres qui aimaient à recevoir de toutes mains, et il avouait au duc de Choiseul « qu’ayant affaire à des gens trop écartés de toute décence, sa nouvelle méthode avait de la peine à prendre. »