Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant ses débuts dans sa patrie d’adoption furent heureux, tout s’annonçait bien ; cette princesse royale pouvait se promettre un brillant avenir. Le pays où elle comptait régner avant peu l’enchanta. Elle y arrivait dans la plus belle saison. « Il faut se rappeler, dit son biographe, le charme infini de cette superbe nature suédoise en été ; les radieuses journées, avec leur doux crépuscule, allant rejoindre l’aurore ; cette succession de lacs bleus reflétant le calme du ciel, de forêts de pins avec leur sombre verdure, s’ouvrant sur des vallées riantes, qui s’encadrent entre les eaux et les bois ; ces échappées soudaines vers le lointain, où pointe un château seigneurial, une église blanche, surmontée de sa croix d’or, le presbytère en bois rouge, au toit pointu. » Au cours de son voyage à travers les plus belles provinces de la Suède, elle écrivait à sa mère qu’elle trouvait le climat agréable, la nature magnifique, les nuits délicieuses. Elle était charmée d’avoir pu lire les gazettes à onze heures de la nuit aussi facilement qu’en plein jour. Comme le paysage, ses futurs sujets lui plaisaient, lui prenaient le cœur ; elle goûtait les harangues qu’ils lui adressaient, les psaumes que lui chantaient les enfans, les poignées de main qu’on lui prodiguait. « La nation, disait-elle, me paraît douée de grandes qualités ; elle a produit des personnes de beaucoup de mérite et de talent. Ce peuple a des capacités qui ne sont point ordinaires aux autres nations. Il est par exemple étonnant d’entendre un paysan faire un discours avec une éloquence de termes, des pensées si bien choisies, qu’un homme de lettres ne pourrait faire mieux. » Elle assurait son frère « que, logée un jour dans un palais, le suivant dans une cabane, elle tâchait de faire civilité à tout le monde et de se montrer aimable. » Elle ajoutait : « Je sais aussi, quand il le faut, me servir du mot : « Je le veux. » Elle n’avait pas besoin de le dire.

Contente de la Suède et des Suédois, elle l’était aussi de son mari. Elle ne tarda pas à se convaincre que ce prince gauche et timide, au nez busqué, au front fuyant, aux grands yeux ronds à fleur de tête, à la bouche molle, aux traits indécis, n’avait point de volonté, et elle lui en sut un gré infini ; elle se chargeait d’en avoir pour deux. Elle n’avait pas non plus à se plaindre du roi Frédéric Ier, qui la recherchait et la courtisait. Ce vieillard guilleret, aux pommettes roses, à la perruque bouclée et frisée avec un soin minutieux, avait l’humeur galante et « se sentait renaître auprès d’une jolie femme. » Elle affectait de le respecter, elle ne se croyait pas tenue de l’aimer ; elle le maltraitait dans ses lettres, l’appelait le vieux Pan, le vieux Saturne. « Le roi a beaucoup d’égards pour moi, écrivait-elle, mais j’avoue que je