qui se laissaient gouverner par leurs impressions ; elles n’avaient d’autres règles de conduite que leurs goûts et leurs dégoûts ; il leur en coûtait trop de sacrifier l’agréable à l’utile, leurs convenances personnelles à l’impassible raison d’État. On ne fait rien en politique sans outils, et il faut qu’une femme soit infiniment raisonnable pour employer un outil dont la figure lui déplait.
Louise-Ulrique n’a jamais appris à surmonter ses dégoûts ni à contraindre son humeur impétueuse, hautaine et violente. Elle ne savait ni prévoir, ni attendre, ni se défier d’elle-même et des autres, ni compter avec les résistances des choses et des hommes. Elle s’est toujours imaginé qu’il suffit de vouloir, qu’on peut s’épargner la peine de préparer les événemens. Comme le dit M. de Heidenstam, « elle avait l’esprit viril d’une Marie-Thérèse, l’audace d’une Catherine, mais elle était dépourvue de leur qualité principale, de leur gros bon sens. » Le bon sens nous enseigne que les prunes ne tombent que lorsqu’elles sont mûres ; Louise-Ulrique n’attendit jamais que la prune fût mûre pour secouer le prunier ; aussi ne l’a-t-elle jamais mangée. M. de Heidenstam a écrit la biographie d’une reine très intelligente, très instruite, mais souverainement maladroite, et la maladresse est dans les affaires de ce monde un péché capital, le seul que la fortune ne pardonne jamais.
Le grand Frédéric en jugeait ainsi, et il avait prévu que sa sœur n’était pas faite pour débrouiller les écheveaux enchevêtrés. Lorsque la Diète suédoise, désireuse de la marier au prince héritier de Suède, le fit pressentir, il accueillit froidement cette ouverture et parut regretter qu’on n’eût pas donné la préférence à une autre de ses sœurs, la princesse Amélie : « La princesse Louise-Ulrique, fit-il dire à Stockholm, est d’un caractère hautain et dominateur, qui se trouvera mal à l’aise dans une monarchie où l’autorité royale est aussi limitée qu’en Suède. » Le marquis de Valory, ministre de France à Berlin, la définissait un esprit vif et sans cesse occupé, un cœur assez bon, par accès, mais une femme impérieuse, opiniâtre, voulant trop ardemment ce qu’elle voulait et manquant de discernement dans le choix des moyens : « Rien n’a le temps de mûrir chez elle. Aussi il ne faut rien lui confier que par gradation. La moindre affaire qui l’affecte l’empêche de dormir. Très capable de prévenir en sa faveur du premier coup d’œil, je ne sais si elle le sera autant de se conserver des amis. » Elle n’en conserva point, et quelques-uns d’entre eux devinrent ses plus dangereux ennemis. Quand les femmes sont maladroites, elles le sont plus que les hommes, et elles sont inexcusables : c’est chez elles un péché contre nature.