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peine à convenir, et Louise-Ulrique mourut à soixante-deux ans sans s’être jamais doutée que, si sa vie, qui s’annonçait brillamment, fut une longue suite de tribulations et d’amers mécomptes, elle se les était le plus souvent attirés par ses fautes, par ses erreurs de conduite.

Elle était belle. Un de ses portraits, peint par Latinville, la représente en Aurore, une étoile sur le front, une torche allumée à la main. Cette Aurore avait d’admirables épaules, un vrai port de reine, de grands yeux bleus, surmontés de sourcils bien arqués, toujours prêts à se froncer, une bouche sévère, trop de fierté dans le sourire. Cependant, quand elle le voulait, elle savait plaire ; elle le voulait rarement ; il lui suffisait d’être obéie. Aussi intelligente que belle, elle aimait passionnément les plaisirs de l’esprit, les arts, le théâtre, la peinture, la musique ; elle lisait Tacite et Diodore de Sicile. Elle voulut qu’on l’initiât aux élémens des sciences, et le doux Linné fut toujours de ses amis : « Je suis philosophe, écrivait-elle de Stockholm, ou du moins je tâche de le devenir ; je passe mon temps à la lecture et à apprendre les mathématiques, auxquelles je prends un plaisir infini. Je m’amuse à compléter un cabinet de médailles et d’histoire naturelle. Quelle riche source de jouissances que l’étude des œuvres du Créateur, dans leurs secrets intimes et inépuisables ! Ce qui nous paraissait merveilleux et extraordinaire devient naturel et sublimement simple, étant conforme à la raison. » Comme le grand Frédéric, elle avait un de ces cerveaux ardens qui cherchent partout leur pâture. Mais il lui manquait quelque chose, qu’il ne put lui donner. « C’était la même forte personnalité, dit M. de Heidenstam, moins la sûreté du jugement et l’admirable pondération d’esprit. « Aussi son terrible frère réussit presque toujours dans ses entreprises, elle échoua dans toutes les siennes. Si elle admirait la raison dans la nature, elle négligea souvent de la consulter avant d’agir, et la raison s’est vengée : elle se venge toujours.

Il faudrait n’avoir jamais lu l’histoire pour oser nier que les femmes puissent exceller dans la politique. De notre temps, sans remonter plus haut, aucun souverain n’a mieux su son métier que la reine Victoria, et les Espagnols ont aujourd’hui une reine régente qui est pour eux le meilleur des rois. Quand les reines mettent au service de l’intérêt public la finesse de leurs perceptions et de leur tact, leurs ruses subtiles et la souplesse de leur main, il n’est pas d’écheveau qu’elles ne débrouillent, et elles ont souvent tiré leurs peuples de grands embarras. Celles qui ont été malheureuses ont dû leurs adversités à leur caractère plus qu’à leurs ignorances. C’étaient des femmes trop passionnées,