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un peu déclamatoire sévit surtout au dernier acte. Julie veut le divorce. Antonin le lui refuse et serre impérieusement sur elle les « tenailles » du code. Cependant, la dévote Caroline, à qui son digne père essaye de soutirer sa part de l’héritage de la tante (oh ! la jolie scène encore de comédie acre !) a sournoisement donné 15 000 francs à un certain Courthezon, employé dans l’imprimerie et inventeur de son état, un vieux garçon bizarre que la pauvre fille aime en secret ; et voilà qu’elle apprend qu’il a un faux ménage et qu’il est père de deux enfans. Du coup, la dévote cesse de croire en Dieu et tombe dans les bras de sa sœur la cocotte, qu’elle avait traitée jusque-là avec le mépris le plus intolérant. Elle regrette presque de n’avoir pas mal tourné elle aussi, tandis que Julie déplore d’être mariée et songe à fuir le toit conjugal pour vivre seule de son travail, dans une petite chambre, comme Caroline. « Ah ! ma pauvre enfant ! dit l’ex-dévote, ne fais pas cela. Si tu savais ! » Et elle raconte ses souffrances, ses humiliations, et la détresse de son cœur inassouvi. Vraiment, c’est encore Angèle qui a choisi la meilleure part. « Moi ? hélas ! si vous saviez ! » fait à son tour la fille galante ; et elle dit les misères de. sa vie, les jours où elle a manqué de pain, et les affres de son métier de joie, et la honte et la nausée « de ne pouvoir choisir »... Et, toute pleine elle-même de navrement, la sage courtisane exhorte la triste épouse et la triste vierge à la résignation. Et la plainte des trois sœurs monte et se prolonge en couplets alternés, d’un style qu’on voudrait ici plus fort et moins inégal au dessein d’une scène qui n’est pas sans grandeur. Enfin Mme Dupont, survenant : « Angèle a raison, mes filles ! » Et la bonne dame explique à Julie que les neuf dixièmes au moins des femmes de France sont logées à la même enseigne, et qu’elle-même a toujours subi avec horreur les embrassemens de M. Dupont...

Voilà qui est complet. La pièce, commencée presque en vaudeville, continuée en drame, finit en lamentation d’apocalypse. C’est effrayant. Mais une chose nous rassure un peu. Il se pourrait qu’il y eût quelque convention et quelque artifice dans cette conclusion épouvantable.

Qu’Angèle, installée (après des traverses, il est vrai) dans une liaison confortable, nous découvre en elle de tels abîmes de désespoir ; que Caroline, durement déçue dans son besoin d’aimer, renonce, à cause de cela même, à la seule consolation qui lui reste et qui est sa foi religieuse, ce sont là des imaginations où il semble bien que M. Brieux n’ait pas été conduit par la seule force de la vérité. Cette idée que les femmes galantes sont des personnes très tristes au fond, et d’ailleurs capables d’infinies délicatesses morales, et cette autre idée que la dévotion des vieilles filles n’est qu’une duperie de leur cœur et