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être indignes : mais elle était pure, elle ; et qui eût osé jurer, après tout, que son esprit n’était pas en eux ? Étaient-ils des bourreaux, ou des prêtres sacrificateurs ?... Résister à la Convention, à ses délégués, au tribunal révolutionnaire, n’eût-ce pas été résister à la Révolution elle-même ?... Je crois qu’il était facile d’impressionner profondément un homme comme Lazare Hoche, candide, sérieux, religieusement ému du miracle de sa propre destinée, en lui parlant au nom de la Révolution, qu’il arrivait sans doute à concevoir un peu comme une personne, comme une mystérieuse déesse, comme une austère Sainte Vierge... Car, comme vous savez, il n’y a guère de religion sans anthropomorphisme.

On s’est étonné que le Hoche de M. Déroulède, ayant subi la Terreur, soit récalcitrant à la République thermidorienne. On a dit qu’il démentait par là son caractère. C’est de quoi je ne saurais convenir. Pur comme il est. Hoche a pu accepter, sans trop comprendre, la République impitoyable, mais austère : contre la République débauchée et agioteuse, tout sa pureté se soulève. La Diane sanglante de Tauris peut sembler vénérable aux âmes pieuses, mais non la Vénus des carrefours soutenue du ruffian Mercure. Oui, l’on conçoit très bien que Hoche conspire contre le Directoire, et par le même sentiment qui lui a fait supporter la Terreur.

Mais, alors, qu’il conspire jusqu’au bout, puisqu’à ce moment la conspiration est pour lui le plus saint des devoirs. Il faut avouer que le Hoche du dernier tableau de M. Déroulède est pitoyable. Il est étrange que la défection de Barras, est une accusation calomnieuse à propos d’un million dont il ne peut rendre compte, le décide, en cinq minutes, au suicide. Il n’a qu’à marcher : la calomnie tombera d’elle-même s’il est le plus fort ; et Barras et de ces gens qu’on retrouve le lendemain de la victoire. Mais il est plus étrange encore que Hoche lègue à Bonaparte le soin de sauver la France. Quand on est à même de faire un coup d’État que l’on croit nécessaire et juste, on le fait soi-même (c’est plus sûr) et pour soi. Telle est, ce me semble, la vérité humaine. — Ou peut-être M. Déroulède a-t-il voulu nous peindre un type de soldat honnête empêtré dans la politique, ferme dans les choses de son métier, hésitant et faible partout ailleurs ? Mais non ; car il ne peut avoir eu le dessein de nous diminuer son héros. — Je crains en somme que, dans ce dernier tableau, des ressouvenirs d’il y a huit ou dix ans n’aient troublé la judiciaire de M. Déroulède.

Avec cela, l’œuvre est estimable : donnez, je vous prie, toute sa force à cet adjectif décrié. Et la forme est souvent assez belle dans sa sonorité oratoire. — Louons tout spécialement, parmi les interprètes,