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raison. Mais ne trouvez-vous pas que les tournois oratoires de cette espèce, ces luttes entre deux âmes également sublimes — et ennemies — ont quelque chose de troublant, au fond, et de déconcertant ? Que deux âmes comme celles de Charette et de Hoche (telles que les voit M. Déroulède), pétries des mêmes vertus et faites évidemment pour se comprendre et s’unir, se croient des devoirs diamétralement opposés, cela fait paraître avec un éclat presque scandaleux combien une même réalité prête à des interprétations contraires, selon l’éducation, la condition sociale et l’intérêt de ceux qui la jugent ; et ainsi, de ces héroïques discussions à la Corneille, que l’on croirait d’abord propres à hausser les cœurs, se peut dégager une leçon non voulue de pyrrhonisme... Ce qui n’empêche point la dernière réplique de Charette d’être superbe. Hoche vient de lui dire : « Que d’héroïsmes perdus ! — « Rien ne se perd, monsieur », répond-il.

Mais M. Déroulède n’a pas seulement su jeter quelquefois de belles paroles parmi de trop longs discours : il me semble qu’il a conçu le personnage de Hoche d’une façon assez forte et originale.

D’un seul mot, il a fait de Hoche le héros de la légalité. Après Wissembourg, l’Alsace conquise, adoré de son armée, le jeune vainqueur se heurte à Saint-Just, qui le sépare de son ami Chérin et qui lui dérobe le plus qu’il peut de sa gloire. Hoche se soumet. — Le soir même du jour où il s’est marié (à Thionville), il reçoit l’ordre d’aller rejoindre l’armée d’Italie. C’est encore un tour de Saint-Just. Hoche se soumet. — On l’arrête, on l’enferme à la Conciergerie, où on le laisse deux mois. Hoche n’en sort pas révolté. — Pour se débarrasser de lui, on l’envoie pacifier la Vendée : mauvaise affaire, de beaucoup de danger et de peu d’honneur. Hoche se résigne. — Il accepte tout. Il supporte d’abord les Thermidoriens comme il avait supporté les Jacobins. Et cela est d’autant plus admirable qu’il n’a pas du tout d’illusions sur les hommes.

Il y a là, fort bien saisi par M. Déroulède, un sentiment d’abnégation stoïque, qui a dû se rencontrer chez les hommes les meilleurs de cette époque, tout nourris de beaux exemples de vertu antique, d’immolation de l’individu à la cité. Cette force d’obéir quand même et de s’immoler, ils la puisaient dans l’amour idolâtre et mystique de la Révolution. C’était elle qui avait, en leur faveur, et comme d’un coup de baguette, transformé le monde. Elle avait apporté à leur adolescence des heures sublimes, des journées entières d’un enthousiasme sacré. Elle les avait faits libres, et elle les avait faits grands. C’est par elle que Lazare Hoche était général en chef à vingt-six ans : il lui devait bien, en retour, quelque sacrifice. Ses représentans pouvaient, quelquefois,