Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religieux, dont l’incertitude même est un acte d’adoration et qui n’absorbe la nature que pour y chercher Dieu...

... En quittant la Kunsthalle, où se pressait la foule, je me suis rendu, pèlerin solitaire, au Musée, dont les salles renferment les belles œuvres des vieux maîtres bâlois, les admirables Holbein que chacun connaît : figures calmes et reposées, transcrites sans effort, avec une simplicité si vivante ; compositions naïves d’artistes qui ne cherchaient point à saisir le mouvement et se contentaient de l’expression que livrent les yeux et l’attitude ; visions directes, sincères, candides, des formes et des couleurs, qui ne révèlent aucune recherche, mais seulement la joie de fixer les images que les regards rapportent à l’âme ; œuvres de force, de santé, de fraîcheur, comme en peut seule produire la jeunesse d’une race ; œuvres de printemps et d’aurore qui fleurissent au début d’une naissante civilisation. Dans ces salles abandonnées, devant ces sages bourgeois, ces savans humanistes et ces pures saintes, j’ai tâché de tirer au clair les impressions que je viens de formuler, et j’ai pensé que l’artiste moderne, auquel il a fallu tant d’efforts pour conquérir sa personnalité, qui ne réussit à l’affirmer qu’à travers tant de recherches, dut envier plus d’une fois ces ancêtres, entrés en souriant dans un chemin facile, triomphateurs après des luttes où l’on ne dirait pas qu’ils aient jamais senti la moindre fatigue. C’est que le monde était jeune, c’est que l’art était jeune, c’est qu’ils étaient jeunes. Et voici, le monde est vieux, l’art est vieilli, Bœcklin approchait de la soixantaine quand il fut enfin maître de son génie. Mais qui donc oserait reprocher aux artistes de notre siècle d’en avoir l’expérience, l’acquis et la réflexion ? Trop heureux lorsque, à ces qualités mûres et conscientes ils joignent, — comme c’est ici le cas, — la verdeur d’une âme fervente et l’éclat encore vigoureux d’une seconde jeunesse.


ÉDMOND ROD.