quelques difficultés avec les magistrats de sa ville natale, — et il se vengea en les prenant pour modèles. Les six masques grotesques, dont le réalisme caricatural rappelle certaines sculptures gothiques, ce sont ceux d’honnêtes greffiers, de prudens conseillers, de sages secrétaires, qui vivent encore, qui depuis beaucoup d’années ont eu mainte occasion de se contempler dans ces aspects inattendus, condamnés au ridicule éternel par la fantaisie irritée de l’artiste. On dit qu’ils ont d’abord trouvé la plaisanterie un peu forte ; puis ils ont pris le parti d’en rire avec leurs combourgeois ; et les survivans ont joué gaîment leur petit rôle dans les fêtes du jubilé. Voilà qui les honore.
Voici un trait plus moderne et plus raffiné :
On ne peut parcourir l’Exposition sans remarquer une Suzanne au bain, dont la laideur repoussante dépasse les bornes du réalisme le plus intransigeant. Suzanne, — une énorme femme à profil bestial, dont la nudité donne la nausée, — est accroupie à côté de son bain. Un épouvantable vieillard, épais, charnu, rubicond, ignoble de sensualité, étend vers elle une main concupiscente, tandis qu’un autre vieillard, la face glabre injectée de bile, regarde d’un peu plus loin, trop visiblement malade pour convoiter, mais repoussant de bassesse et d’envie. Eh bien, l’on affirme que ce sont trois portraits. Encore une vengeance ; et voyez-en le raffinement : les autres œuvres de Bœcklin n’ont été reproduites par la photographie qu’en exemplaires de grand format et d’un prix assez élevé, celle-ci existe en cinq formats différens, et chacun peut l’acquérir pour la modique somme d’un franc vingt-cinq centimes. Tels sont les tours du vieux lion qu’on dérange.
Un autre aspect de cet Imaginatif aussi fantasque que tenace :
En 1860, il avait été appelé à Weimar, comme professeur à l’École des Beaux-Arts qu’on venait d’y fonder. Le séjour de la petite ville où se cristallisent les souvenirs de Gœthe ne lui plaisait guère ; l’enseignement l’ennuyait : il inventa une machine volante. On affirme qu’elle était de tous points parfaite, — à cela près qu’elle ne volait pas. Mais toute l’École des Beaux-Arts, professeurs et élèves, en rêvait : la peinture abandonnée cédait à la mécanique ; et les honnêtes bourgeois, sur le passage de ces artistes qui voulaient absolument s’envoler, hochaient la tête et les montraient du doigt en disant :
— C’est Bœcklin qui leur a tourné la tête !
La vie de cet homme fut très agitée : né dans la richesse, — ses parens étaient des commerçans fort à l’aise que des revers atteignirent, —