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LE REGRET



Le feuillage jauni tremble aux branches lassées
Et la maison là-bas nous appelle au heurtoir,
Et côte à côte ainsi nous irons vers le soir
Où marchent devant nous nos heures enlacées.

Au reflet du cristal comme aux sources glacées,
Que le temps douloureux ou doux me fasse voir
Son rire à la fontaine ou sa ride au miroir,
Ton souvenir se mire à toutes mes pensées.

L’automne les disperse aux routes de la vie ;
L’écorce se desquame et l’arbre s’exfolie
Et la ramure oscille au souffle qui l’émeut ;

Et ses feuilles, au vent qui les parsème inertes,
Emportent, çà et là, chacune comme un peu
Du murmure amoindri de la cime déserte.


LA HACHE



Ecoute. Le vent froid aux cailloux de la route
Aiguise lentement, invisible ouvrier,
Les serpes et les faulx de ses bises d’acier ;
Le pas du Temps résonne au carrefour. Ecoute.

Écoute. Au loin déjà les fleurs s’effeuillent ; toute
La prairie alentour frissonne, et tout entier
Le grand arbre frémit au souffle meurtrier ;
Et sa Dryade en lui va saigner goutte à goutte.

Les bûcherons, liant le fagot et l’écorce,
Vont dépecer, hélas ! ta stature et ta force ;
Ton ombre a marqué l’heure à ta chute ; mais sache,

Au soir de quelque Automne orgueilleux de ta mort,.
Parmi l’effondrement de ta ramure d’or,
Tomber au moins hautain et grave, sous la hache.


HENRI DE RÉGNIER.