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LE PHILTRE



D’une pointe de flèche où le sang goutte encor
L’Amour a, par deux fois, sur ton écorce lisse
Gravé son nom cruel et doux, affre et délice,
Que le fer tour à tour meurtrit, caresse et mord.

La sève au sang divin môle ses larmes d’or ;
Et le philtre amoureux en tes fibres se glisse,
Et pour que la ramure au ciel s’épanouisse
Le tronc plus douloureux se contracte et se tord.

Et depuis, à ton ombre assis, j’entends qui chante
Ta cime harmonieuse et toujours frémissante
Avec tous les oiseaux de l’aurore et du soir ;

Et tordue à mes pieds où leur nœud s’entre-croise,
Je vois sourdre et ramper au sol vorace et noir.
En serpens souterrains, la racine sournoise.


LE RETOUR



Le vent à pas légers et la pluie à pas lourds
Nous précèdent déjà sur la route où frissonne
Ma tristesse à qui l’heure et le soir et l’automne
Disent le temps qui passe et la fuite des jours.

Ton visage pourtant, ô Toi, sourit toujours
Et ta bouche indulgente et divine pardonne
A l’instant envolé qui fuit et t’abandonne ;
Et la route reprise est douce à tes retours.

Le Souvenir là-bas ouvre son porche où tremble
Le lierre fraternel qui nous accueille ensemble
Enguirlandant le seuil et la porte en ruine ;

Et l’âtre noir verra aux cendres ranimées.
Comme en mon sombre amour que ta grâce illumine,
Rire la flamme claire à travers les fumées.