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L’ILLUSION



Tu vois passer celui qui marche vers la Mer ;
Le caillou de la route et la ronce des sentes
Offensent ses pieds nus faits pour fouler la pente
Des grèves où vers l’eau descend le sable amer.

La houle des blés lourds s’écroule, et le pré vert
Ondule d’herbe éparse où le sillon s’argente,
Et le vent, à travers les cimes bruissantes.
Murmure une marée en leur feuillage clair.

L’horizon fait au loin déferler ses collines
A tes yeux éblouis d’illusions marines.
Flux et reflux d’un songe éternel et fuyant ;

Et pour battre le flot futur autour de l’île,
Terrestre voyageur et toujours souriant,
Tu portes sur l’épaule une rame inutile.


LA BÊTE


Et cet Autre a passé, suant, sous le soleil,
Lié par ses deux poings que la corde excorie,
A conduire l’opprobre et l’obscène furie
D’un bouc farouche et roux, à quelque Dieu pareil.

Haletant et tendu de la nuque à l’orteil,
Jarret nerveux et sang aux mains et peau meurtrie,
Il mate un instant, rompt, entrave et contrarie
L’âpre effort de la bête horrible au poil vermeil.

Le brusque bouc debout, droit, sur ses sabots d’or,
Se cabre contre lui, lutte et l’entraîne encor ;
Et l’Arbre est dépassé de la route éternelle.

Et le pasteur : vaincu suit l’ouaille revêche,
Sachant qu’il ne pourra jamais à cause d’elle
Goûter l’ombrage frais et boire l’ombre fraîche.