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L’AMOUR



J’ai vu, ce soir, l’Amour. Et le fouet à la main,
Debout, il châtiait, farouche et flagellé.
Pris au mors, le cheval pour les Muses ailé
Qui frappait l’herbe en fleurs de son sabot divin.

Le monstre hennissait et se cabrait en vain,
Tout rose d’une écume où du sang fut mêlé ;
Et la nuit était bleue et le ciel étoile.
Et l’Amour torturait la bête au noble crin.

.le lui criai : Va-t’en. Pégase ! prends ton vol,
Bondis et rue et romps l’entrave et le licol ;
L’Enfant ne suivra pas ton essor. Monte et fuis !

Mais l’Amour, souriant toujours, de ses mains fraîches
Me montra, qui saignaient encore de ses flèches.
Les doubles ailes d’ombre ouvertes dans la Nuit.


LES ENNEMIS



J’ai vu l’Amour, un soir, combattre un autre Amour.
L’un riant de courber son frère terrassé.
Et l’autre, au souple bras qui le tient enlacé,
Mordant la chair parente où frappe son poing lourd.

Combat silencieux de la Nuit et du Jour
Qui heurte le dieu nu contre un dieu cuirassé,
Et le muscle meurtri pressant l’airain faussé
Et chacun d’eux vainqueur et vaincu tour à tour.

La lutte consanguine, amoureuse et farouche.
De sa quadruple étreinte et de sa double bouche.
Lie en un corps jumeau l’âpre couple guerrier.

Jusqu’à l’heure où le vent de l’aube matinale
Sèche aux membres rompus du groupe meurtrier
La sueur fraternelle et la pourpre rivale.