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peut juger de la prospérité et du bonheur d’un peuple par la loi d’accroissement de sa population, il faut en conclure que le peuple javanais est un des plus heureux du monde, et aussi qu’il n’est ni si opprimé, ni si mal gouverné qu’on l’a prétendu. L’indigène m’a paru bien nourri, convenablement vêtu, et je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré un mendiant à Java, tandis que j’en ai vu beaucoup dans l’île fortunée de Ceylan.

Toutefois, la culture forcée était une institution factice et artificielle, qui pouvait favoriser pendant un certain nombre d’années le développement de la population en lui facilitant les conditions d’existence, mais qui n’eût pu continuer à produire indéfiniment les mêmes résultats. Le système était admirablement conçu en vue du développement de l’industrie chez un peuple à demi civilisé, et courbé depuis un millier d’années sous l’oppression de ses anciens maîtres : on ne pouvait, du jour au lendemain, soustraire ce peuple au despotisme sous lequel il avait si longtemps vécu ; mais le travail forcé, en augmentant la population, devait fatalement aboutir un jour à une telle multiplication du nombre de bouches, qu’une effroyable misère aurait subitement succédé à la prospérité, sans que les indigènes eussent été préparés à combattre l’horrible nécessité par les mille ressources du travail libre.

A l’ancien système, fondé sur le domaine éminent de l’État et l’assujettissement des indigènes, s’est substitué un régime d’acheminement vers la propriété individuelle et la liberté. Autrefois Java était moins une colonie qu’une exploitation, puisqu’il n’y avait ni colons, ni propriété privée ; le système Van den Bosch était incompatible avec la colonisation européenne, puisque l’Etat ne voulait point aliéner les terres qu’il faisait cultiver par les corvéables ; les rares plantations particulières dataient de la domination des Anglais, qui avaient voulu établir la propriété individuelle. Depuis le nouveau régime, fondé par la loi agraire, la colonisation européenne est devenue possible, le monopole de l’État cède peu à peu la place aux entreprises privées, et Java, qui n’était naguère qu’une ferme où les corvéables étaient attachés à la glèbe, se transforme en un pays de colonisation ouvert à toutes les initiatives.

Pendant longtemps, la Hollande fut opposée à l’établissement des chemins de fer à Java. M. de Beauvoir, qui visita l’île au début de l’établissement des voies ferrées, fut fort surpris de la