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Ce qui mérite la réprobation, c’est moins le système que les abus auxquels il a donné lieu.

Et puis, qui le croirait ? C’est aux cultures forcées que Java doit un accroissement de population dépassant tout ce qu’a jamais pu rêver le général Van den Bosch, qui n’avait peut-être pas prévu ce résultat assez inattendu. La population de Java, qui, au début du XIXe siècle, était estimée à 3 500 000 âmes, s’élève aujourd’hui au chiffre fantastique de 25 067401 habitans pour un territoire de 2 388,4 milles géographiques carrés, ce qui représente 10 496 habitans par mille géographique[1]. Sous le double rapport de la densité et de l’accroissement de la population, l’île de Java dépasse donc toutes les contrées du globe. Or il est intéressant de constater que c’est surtout depuis l’introduction du système de culture, que la population s’est accrue avec une rapidité exceptionnelle. Lors de l’innovation, Java comptait 7 millions d’habitans ; en 1830, 9 millions et demi ; en 1867, 15 millions. La loi d’accroissement de la population de Java a suivi, depuis 1830, une progression qui peut s’exprimer par le doublement du chiffre à chaque période de trente-cinq ans ; tandis que, dans les contrées d’Europe où la population croît le plus rapidement, telles que l’Angleterre, le doublement n’a lieu qu’en soixante-trois ans. Si, par impossible, Java continuait à croître et multiplier selon cette progression géométrique, elle compterait dans un siècle cent cinquante millions d’habitans ; et dans deux siècles à peu près toute la population actuelle du globe.

Nombreuses sont les preuves de la relation entre la culture forcée et l’augmentation de la population ; outre que cette augmentation s’est produite surtout depuis l’introduction du système, elle s’est manifestée spécialement dans les provinces où on a pu le mettre en œuvre sur une grande échelle. On ne peut donc nier que le général Van den Bosch n’ait puissamment contribué à repeupler l’île de Java, qui nourrissait, vraisemblablement, dans les temps anciens, une population bien autrement dense encore, si l’on en juge par les vestiges des civilisations disparues. Cette prodigieuse densité de la population est ce qui frappe le plus le nouveau venu à Java : le long des routes qui sillonnent l’île, ce sont des processions sans fin de villageois, hommes, femmes, enfans, qui semblent sortir de terre. S’il est vrai qu’on

  1. Regeerings Almanak, 1896.