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Les Hollandais sont donc entrés dans la voie humanitaire du travail libre ; à part les corvées, qui subsistent encore dans les cultures de café du gouvernement et dans les travaux publics, aucune contrainte ne peut plus être imposée à l’indigène, dont les services se louent par des contrats de travail. Pour prévenir toute apparence de contrainte, le gouvernement a aboli une disposition qui punissait la violation des contrats par l’ouvrier indigène, et y a substitué une stipulation suivant laquelle la violation du contrat n’est punissable que dans des cas déterminés, dont la preuve est souvent si difficile à fournir, que cette stipulation est généralement restée lettre morte. La situation économique de Java se trouve donc dans une période de complète transformation, et peu à peu le vieux système colonial s’effrite, pour faire place au régime libéral qui répond mieux aux idées modernes. Par bonheur, cette transformation s’est faite insensiblement, sans secousses, et elle a commencé avant qu’elle fût devenue d’une impérieuse nécessité. Les Hollandais, peuple prudent et réfléchi, ne procèdent point par mesures radicales et violentes. Aussi n’ont-ils pas encore aboli la corvée dans les cultures de café, le dernier retranchement où se soit réfugié le système de travail forcé. Cette culture, organisée en grand par le gouvernement, offre de tels avantages à la métropole, qu’il eût été téméraire de l’abolir d’un trait de plume : le choc, en ébranlant toute l’économie de la vieille organisation, eût pu avoir les suites les plus désastreuses pour les Indes comme pour la métropole ; mais quoique l’heure de l’émancipation complète n’ait pas encore sonné, on peut prévoir que le temps est proche où l’on ne verra plus à Java aucun vestige de l’exploitation d’un peuple par un autre.

Le système des cultures forcées a eu ses panégyristes exaltés et ses détracteurs acharnés. Un écrivain anglais la proclamé le plus beau des systèmes coloniaux[1] ; un écrivain hollandais, dans un livre célèbre[2], en a fait une sombre peinture, qui en a hâté la chute, autant que le livre de Mrs Beecher Stowe a contribué à l’abolition de l’esclavage. La culture forcée ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. On peut dire à la louange de Van den Bosch qu’il a tiré l’indigène de son indolence naturelle, lui a inculqué des habitudes de travail, et lui a enseigné d’autres arts que la culture du riz, qui suffisait autrefois à ses besoins restreints.

  1. J. Money, Java, or how to manage a colony, 2 vol.
  2. Mullatuli, Max Havelaar.