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l’ouvrant à la stratégie, c’était la tactique des généraux de l’empire. En moins de deux ans, le maréchal eut achevé l’admirable réseau des voies de communication qui sillonnent d’un bout à l’autre l’île de Java sur une longueur de 864 paal (1 300 kil.), depuis Anjer, pointe occidentale de l’île, jusqu’à Banjouvangi, à l’extrémité orientale. Si les routes javanaises sont peut-être les mieux entretenues du monde entier, c’est par suite de cette heureuse innovation qu’elles se composent de deux chaussées parallèles, l’une affectée aux lourds transports et aux bestiaux, l’autre réservée aux chevaux et aux voitures de poste ; la première est pavée, la seconde macadamisée ; chacune est assez large pour que trois véhicules puissent y marcher de front ; elles sont séparées l’une de l’autre par un exhaussement de terrain généralement garni d’une haie.

Pour l’exécution de ces grands travaux le maréchal eut recours aux corvéables. A chaque dessa ou commune, il donna à construire dans un temps voulu une portion de route. Lorsqu’un village n’avait pas terminé le travail dans le délai fixé, le maréchal y envoyait un sergent et quatre soldats, avec ordre de s’emparer des chefs indigènes et de les pendre. On comprend qu’avec ce système par trop oriental, les routes décrétées s’achevaient comme par enchantement. Le despotisme de ce Napoléon des Indes inspirait aux indigènes une crainte qui subsiste aujourd’hui encore, comme on a pu le voir quand, récemment, un ingénieur du nom de Maréchal vint à Java pour y construire des chemins de fer : les populations, s’imaginant qu’il descendait du redouté « maréchal de fer », lui prodiguèrent les marques du plus profond respect. Si Daendels fit de grandes choses, il commit beaucoup d’excès. Soupçonné par Napoléon de vouloir créer un empire de Java à son profit, il fut rappelé en Europe, et peu de temps après, le joyau des Indes passa aux Anglais.

Daendels fut aussi le véritable inventeur du système des cultures forcées. Sous son administration, tous les villages dont les terres convenaient à la culture du café furent contraints de planter un certain nombre de caféiers, généralement mille plants par chef de famille. Au bout de cinq ans on estimait le produit de la plantation, et le village était requis de délivrer gratuitement dans les magasins du gouvernement à la côte, soigneusement nettoyés et triés, les deux cinquièmes de la récolte, à défaut de quoi le village devait en payer la contre-valeur au gouvernement,