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LE DÉSASTRE.

— Jusqu’au bout ! fit Restaud. Mais une angoisse altérait ses traits ; visiblement, il se livrait en lui un grand combat.

— Ainsi, conclut Du Breuil en cherchant ses mots, — car il sentait l’importance de leurs paroles, — ceux qui jugent que les choses ne peuvent durer ainsi, qu’un chef incapable ou ambitieux devrait être remplacé ?…

La voix coupante de d’Avol vibrait à son oreille : — « Il y a des maréchaux plus anciens ! » Restaud l’arrêta court :

— Ne me parlez pas des insoumis, des révoltés ! Eussent-ils cent fois raison, penserais-je moi-même comme eux, aurais-je mon frère dans le tas, je les ferais fusiller au premier acte d’insubordination ! Où irions-nous, si l’anarchie dissolvait l’armée ? La discipline, Du Breuil, rappelez-vous ce mot terrible et magnifique inscrit à la première page du Service intérieur : la discipline, force principale des armées !

Il le regardait en face, avec une fière conviction qui, venant du cœur, y allait droit. Du Breuil, touché, dit :

— Vous avez raison, mon ami.

Un feu pâle sortait du visage de Restaud, son regard prit une inexprimable noblesse :

— Vous n’avez pas sérieusement douté ! Un homme comme vous ne pouvait pas douter. C’est à d’autres, de se garder des tentations de l’orgueil.

De l’orgueil ? Pourquoi ce mot ? Comme il cinglait juste d’Avol, que Restaud cependant ne connaissait pas ! Oui, de l’orgueil, noble, certes, mais incompatible avec le renoncement du soldat… La Discipline, force principale des armées !

— Allons, dit Restaud, il faut essayer de dormir, bon courage !

— Bonsoir, mon ami !

Et leurs mains se serrèrent, dans un grand élan d’affection et d’estime. Restaud sorti, Du Breuil se sentit plus seul, plus triste. Pourquoi n’avaient-ils pas soufflé mot de ce mystérieux personnage qui était venu, dans l’après-midi, trouver Bazaine ? Quel malaise avait sur leurs lèvres retenu la même question ?… Après tout, Restaud, absent depuis midi, parlant peu, pouvait ignorer l’événement de la journée : cet inconnu, en costume civil, amené dans le char à bancs des parlementaires par un officier du général de Cissey. Introduit auprès du maréchal, il s’était entretenu longuement, secrètement, avec lui, avait déclaré