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Il y avait cependant progrès. Sa raison avait repris son poste d’observation. Elle surveillait le « frère mystique », et l’obligeait prudemment à dissimuler.

À Georges Bell : « (Neuenmarkt, 27 juin.) Je viens de passer un mois à visiter l’Allemagne du midi. Je me suis clarifié l’esprit et j’ai repris la forte santé des jeunes années… Je vous ai écrit de Strasbourg, où les réceptions et les invitations m’avaient encore un peu agité. Pour éviter ces occasions, j’ai vu fort peu de monde depuis, et j’ai pris de la force dans la réflexion et la solitude. J’ai beaucoup travaillé et j’ai même de la copie que je ne veux pas envoyer légèrement ; le principal, c’est que je suis fort content et plein de ressources pour l’avenir. Du résultat de ce mois seul, il y a de quoi travailler un an ; je me suis découvert des dispositions nouvelles. — Et vous savez que l’inquiétude sur mes facultés créatrices était mon plus grand sujet d’abattement. »

Il rentra à Paris vers le 19 juillet, guéri en apparence. Au premier effort cérébral, la folie éclata de nouveau. Le 8 août, il fallut le reconduire à Passy, où il arriva irrité, mauvais, sûr d’être dans son bon sens et accusant le ciel et la terre de le persécuter. Sa thèse fut désormais celle-ci : — « Je conviens officiellement que j’ai été malade. Je ne puis convenir que j’ai été fou, ou même halluciné. » On ne le fit plus sortir de là. Il ajoutait : — « Si j’offense la médecine, je me jetterai à ses genoux quand elle prendra les traits d’une déesse[1]. » À l’ancienne affection pour le docteur Blanche, à l’ancienne reconnaissance pour tant de services rendus où l’intérêt n’avait certes rien à voir, avaient succédé les colères, les menaces, la défiance de la victime envers son geôlier. Il écrivait à tous ses amis pour se plaindre de son « incarcération ». À quoi bon s’appesantir ? Pourquoi citer des divagations dont il n’était plus responsable ?

Ce fut le moment que choisit son père pour notifier qu’il refusait de s’occuper de lui. Il y avait vingt-cinq ans que M. Labrunie s’était désintéressé de son fils et qu’il recevait sans en être touché les tendresses d’un cœur qu’aucun rebut ne put lasser. Malade ou bien portant, absent ou présent, Gérard de Nerval n’oubliait jamais son père. Il quittait tout pour l’embrasser avant son coucher, pour lui répéter par lettre, ou de vive voix, qu’il n’avait point de meilleur ami. Autant parler à une pierre, et,

  1. Lettre à l’éditeur Sartorius, Collection de M. de Spœlberch de Lovenjoul, de même que la suivante.