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franchement, j’étais plus malade que je ne croyais, le jour ou plutôt la nuit de cet exploit ridicule. » Étant mieux à ce moment, il voulait bien convenir qu’il avait eu la cervelle troublée, mais il n’en convint pas longtemps.

Il est question dans la même lettre d’une troisième oraison funèbre : la biographie d’Eugène de Mirecourt, qui lui avait été particulièrement insupportable à cause du portrait placé en tête : « Dites donc, je tremble ici de rencontrer aux étalages un certain portrait pour lequel on m’a fait poser, lorsque j’étais malade, sous prétexte de biographie nécrologique. L’artiste est un homme de talent… mais il fait trop vrai ! — Dites partout que c’est un portrait ressemblant, mais posthume, ou bien encore que Mercure avait pris les traits de Sosie et posé à ma place. Je veux me débarbouiller avec de l’ambroisie, si les dieux m’en accordent un demi-verre seulement. » Ce portrait, si amer à sa coquetterie, est justement le seul connu, sinon le seul existant ; il a été reproduit partout. Gérard de Nerval y est représenté de face, le menton sur sa main, le coude sur sa table de travail. Il a les joues rondes, les traits placides et comme émoussés, le buste affaissé et inélégant ; sans son regard de fou, luisant et indigné, il serait d’une complète insignifiance.

À son père : « (Ce 4 juin 1854.) Je t’écris de Strasbourg… Ma foi, on avait raison de me prescrire les ménagemens. Le mal, c’est-à-dire l’exaltation, est revenu parfois, c’est-à-dire dans de certaines heures. Je dois passer ici pour un prophète (un faux prophète), avec mon langage parfois mystique et mes distractions. »

À un ami : « (Strasbourg, le 30 juin 1854.)… Ayant fraternisé avec les étudians au bal des savetiers, j’ai bu plus de bière que de raison, en voulant faire le crâne, ce qui, joint avec les invitations des deux jours suivans, m’a rendu assez fantasque dans cette ville. J’ai fait tant de bruit à l’hôtel de la Fleur, que je crois qu’il y a des gens qui en sont partis à cause de cela, des femmes peut-être, malheureusement, que l’on n’a qu’entrevues. Hé bien, les garçons sont si polis dans cet établissement, qu’on ne m’a fait que des observations détournées sur ce que je ne me rendais peut-être pas bien compte des heures. — J’ai dit : — Mais je n’ai pas de montre, et le jour paraît de bonne heure ; est-ce que j’ai dérangé quelqu’un ? il fallait me le dire. — Le garçon m’a dit : — Monsieur sait bien ce qu’il fait. — J’ai répondu : Pas toujours[1]. »

  1. Lettre à Antony Deschamps. du 24 octobre 1854. Collection Arsène Houssaye.