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LE DÉSASTRE.

gnés par eux, accompagnait cette lettre. Le Prince faisait remarquer qu’ayant pris son origine à l’Hôtel-de-Ville, et non au Corps législatif, la République restait étrangère à une partie de la France, comme aux puissances monarchiques.

— Je n’ai pas de prévention pour ou contre, dit Restaud, je l’acclamerai, si elle nous aide à chasser les Prussiens. Plutôt que de signer une paix honteuse, nous devons lutter jusqu’au bout, vaincre ou mourir !

— Bien pensé, soupira Du Breuil. Que ne peut-on vous entendre dans le cabinet de travail de Bazaine !

Il tendit le bras dans cette direction. Lieu clos, silencieux. Un air de mystère planait depuis quelque temps alentour. Des allées et venues de parlementaires allemands avaient éveillé l’attention. Quelque chose se tramait, qui, pour ceux mêmes qui ne voyaient rien de suspect ni de louche, demeurait clandestin.

Restaud se taisait, pour ne pas juger. Du Breuil dit :

— Mais non ! Le maréchal n’ignore pas les sentimens de l’armée, les vôtres, les miens. Si les grands chefs, si ceux qui ont qualité pour cela, ne lui font pas entendre la vérité assez haut, les humbles, la foule anonyme a parlé, parle tous les jours. Le maréchal reçoit et lit toutes les lettres non signées. Elles l’adjurent de tenter l’honneur des armes, le supplient d’entrer, lui et ses généraux, en communion avec l’armée qui souffre sans se plaindre et qui obéit en mâchant son frein. Vous avez lu, Restaud, la belle lettre qu’un des nôtres (Charlys, croyait-on), il y a un mois, envoyait à Bazaine ? Depuis, — il baissa la voix, — le ton de respect a changé. Des sommations impérieuses, injurieuses même, le rappellent à ses devoirs, qu’il a oubliés.

— Je veux espérer, dit Restaud. Nous le devons. Que deviendrions-nous sans la foi ?

— La foi ! — Du Breuil le regarda avec une amère pitié : — Tenez ! la politique est une bien misérable chose… Faut-il donc qu’en certaines âmes l’ambition personnelle amoindrisse le sentiment de l’honneur ? Est-ce que Bazaine devrait demander des renseignemens au prince Frédéric-Charles ? Est-ce qu’il devrait prêter une oreille complaisante à ces nouvelles désastreuses qu’on a intérêt à lui faire croire ?… — Autre chose. Vous avez vu ces numéros du Figaro, du Moniteur de Reims : le Gouvernement prussien ne serait disposé à traiter qu’avec l’Empereur, l’Impératrice régente ou le maréchal, qui tient son commandement de